Morante et la photo de la discorde

Le 04 mai face à un toro de Nuñez del Cuvillo, manso et terciado, Morante de la Puebla qui, par ailleurs a merveilleusement toréé, a décidé de manière exceptionnelle, de poser les banderilles.

Photo Mundotoro 4 Mai 2017

Ce choix généreux et créatif ne peut cependant occulter les circonstances et le résultat artistique du geste. Deux cuarteos stylés mais lointains et un quiebro risqué qui a fait vibrer les tendidos. Le positif de la prestation est sans conteste un style très personnel du torero, en particulier dans sa forme de monter les bras réunis au moment de la pose et l’intensité de son regard. Ce qui l’est moins c’est d’abord la lidia désordonnée engagée par la cuadrilla d’une part pour palier au comportement manso et abanto du toro, et d’autre part pour optimiser la mise en suerte au profit de leur matador. Ainsi, mon avis est que le choix de Morante a non seulement nuit à la suite du combat mais n’a pas été d’un intérêt artistique particulier.

A l’occasion d’une tertulia impromptue, j’ai commis le crime de lèse majesté de donner mon avis sur la prestation en banderilles du « genio » de la Puebla dont je suis un admirateur presque « inconditionnel ». J’ai échappé de justesse au lynchage (j’exagère bien sûr). Un de mes interlocuteurs, pour définitivement me clouer le bec, m’a présenté sur son téléphone, avec jouissance, une photo parue sur le site de mundotoro.com. L’effet a été terrible. J’ai vacillé et me suis posé de sérieuses questions sur ma capacité à voir une corrida. Perplexe, j’ai poursuivi mon analyse sur ma tablette où j’ai relu mes notes et regardé à nouveau cette photo qui ne collait pas avec ma mémoire et surtout mon désir de justesse et neutralité qui loin d’être parfait est un guide, pour le moins.

Au bout de quelques instants d’admiration de l’image, je me suis demandé pourquoi Morante y exhibait une barre sur le front. À partir de cet instant, les billes sont tombées et en quelques instants j’ai compris que la photo avait été retouchée et les « stigmates » du front me sautèrent aux yeux.

Deux points de repère au delà de celui déjà mentionné finiront par vous convaincre. Regardez les deux policiers, dans le callejon au dessus du toro, dont les têtes sont coupées en deux et décalées d’une part, et le sens des planches de la talanquera devant le torse de Morante qui sont en fait celles de la porte dans son dos, d’autre part. Ceci veut dire qu’en réalité Morante se trouvait à une distance équivalente à celle entre les deux moitiés de têtes de policiers coupées et qu’il se trouvait donc là ou se trouve la porte dans son dos, c’est-à-dire loin.

Il était trop tard pour moi pour me justifier, la tertulia impromptue était terminée. Ma réputation était faite depuis que la photo m’avait été assénée, mais ma justification personnelle acquise. Morante est un tel torerazo qu’il n’a pas besoin que l’on essaye de faire croire qu’il fait bien ce qui en fait n’est pas son fort. Le risque est au bout du compte de détourner l’attention de ce qui fait vraiment de lui un torero unique y compris lorsqu’il tente des choses originales qu’il ne réussit pas.

René Philippe Arneodau

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