TOROS VOLANTS.

Lorsque nous allons voir une corrida, public et aficionados, nous y allons avec la confiance qu’il existe un domaine réservé au public et un autre aux toros et aux toreros.  Il arrive qu’un espontaneo vienne rompre cette barrière virtuelle et c’est une expérience habituellement prisée du grand public qui la trouve excitante.  Elle devient de plus en plus rare de nos jours, à une époque où l’accès à la profession de Matador de Toros est devenu plus organisé, scolaire, contrôlé.

Qu’un élément de l’espace réservé aux professionnels vienne envahir l’espace du public est plus inattendu, surtout en corrida.  En course camarguaise c’est une interpénétration normale lorsque les raseteurs  sautent jusqu’au tendido pour échapper aux cornes.  Mais en Corrida une intrusion de ce type est le signe que quelque chose ne tourne pas rond.

On peut imaginer un objet qui vole jusqu’aux tendidos, comme une épée ou un descabello. Un torero athlétique qui à l’instar du raseteur saute les barrières jusqu’au premier rang dans une attitude peu digne de celle d’un Torero. Mais la violation de territoire la plus violente et la plus angoissante est celle du toro qui saute pour arriver dans l’espace réservé au public.  Heureusement, il s’agit d’un des évènements les moins fréquents.  Et si ce n’était pas le cas, on imagine qu’il pourrait s’agir d’une raison pour que le public ne vienne plus aux Arènes, de peur de risquer leur vie.  En effet, qui accepterai de payer plus de cent Euros sa place en barrera avec la certitude de se retrouver avec un bicho de 500 Kg lui passant au dessus de la tête ou lui retombant dessus.

Nous sommes probablement nombreux à connaître ou à avoir vu en video le vol de « Pajarito » à la Plaza Mexico.  A votre avis quelles sont les probabilités qu’un Aficionado Français ait été présent ce jour là ?  Et quelle est la probabilité qu’un Aficionado Français, qui aurait été présent ce jour là, l’ait été également lors d’un saut semblable dans une autre arène, ou même deux fois, ou peut-être trois fois ?  Pas possible !!!!!!!!  Moi non plus je n’y crois pas du tout.  Le seul problème c’est que je suis ce « pajarito » rare. Serais-je victime d’une malédiction?  Je vous laisse juger et je vous raconte mes quatre expériences de toros volants.

Article du Nice Matin

La première occurrence de ce particularisme est advenu  le 8 Septembre 1974 aux Arènes de FREJUS.  Mon Aficion était récente, datant de 1970.  Il s’agissait d’une Novillada piquée avec des Novillos de Paul RICARD pour Raul GOMEZ, NIMENO II et Franscico CARO (Curro CARO).  Le cinquième Novillo, dont la lidia correspondait à NIMENO II,  était le plus grand et le plus armé de la Novillada.  Dès son arrivée en piste il se comporte en manso perdido.  Il inflige un voltereton d’abord au peon Pepe de Montijo, puis à NIMENO II.  En bon manso il cherche la sortie de piste et effectue un premier saut au callejon de la plaza.  A cette époque ce callejon est composé de deux barrières parallèles, très peu espacées, dont la deuxième est à peine plus haute que la première surmontée de deux câbles fins, dépassant de celle-ci d’environ 50 cm, passant dans des supports métalliques vissés au bois de la seconde barrière.  Revenu en piste à la suite de ce premier saut,  le RICARD prend son élan pour un second saut qui, cette fois-ci, lui permet de heurter les cables et de basculer au-delà de la deuxième barrière en terrains de torils.  Cette deuxième talanquère était, tout autour de la piste, séparée des gradins par un nouvel espace, un couloir. Les gradins étaient surélevés par rapport à celui-ci.  Mais en l’occurrence le Novillo avait sauté dans la zone du patio de cuadrillas qui était un espace fermé et séparé des gradins.  Le bicho y a trouvé une sortie vers les espaces/jardins extérieurs des arènes.  Après poursuites, débandades et efforts de l’équipe du responsable des corrales et de la Plaza, Jean Marie ROBERT, de la police et des toreros, le novillo fut abattu à l’arme à feux par un CRS. Environ 2.000 spectateurs assistaient à la Novillada qui restera dans l’histoire plus pour le saut que pour le résultat artistique.

Article de Nice Matin

Une temporada plus tard, le 8 Juin 1975, toujours dans les Arènes de FREJUS, sont combattus, avec picadors, des Novillos de Matias RAMOS pour Angel MAJANO, Eladio PERALVO, et NIMENO II (en remplacement de Sebastian CORTES).  Le cinquième Novillo « Alberjito », dont la lidia correspondait à Eladio PERALVO, est manso.  Il saute et passe les deux barrières du premier coup, en terrain de Sol, si ma mémoire est bonne,  ce qui cette fois représente un danger accru car le contact avec le public est plus probable.  La fuite du bovin dure un quart d’heure.  La police lui tire dessus à plusieurs reprises et c’est finalement le capote de Eladio PERALVO qui le ramène en piste, déjà agonisant, où il lui porte deux pinchazos avant la puntilla.  Il y avait environ 4.000 spectateurs et il n’y eu aucun blessé.  PERALVO a tué un sobrero en septième position et NIMENO II fut le triomphateur avec une oreille et deux oreilles.

On retiendra que, dans ces deux courses, ce sont les quintos qui furent malos et sautèrent les deux barrières, que NIMENO II était présent aux deux courses et que, juste pour rire,  le nom d »Alberito » rime avec celui de « Pajarito ».

Les collectionneurs trouveront dans ce numéro de TOROS la chronique de Jean Isnard

Les collectionneurs trouveront dans ce numéro de TOROS une photo de l’évènement.

 

 

 

 

 

 

 

Après ces émotions, j’ai eu la chance de ne pas revivre une telle aventure pendant longtemps.  A l’occasion de la Feria de SEVILLA de 1999, le 17 avril, je me suis rendu à la II Feria Mundial del Toro qui avait lieu au Palais des Congrès et des Expositions de Séville.

Article de l’ABC du 18/04/1999

Ce jour là était présenté, dans les arènes montées pour la féria du toro, un spectacle de raset en démonstration et en l’honneur de la Camargue et de ses traditions.  Une des vaches courues ce jour a suivi le saut d’un raseteur et est venue s’écraser sur le rebord du premier rang de barrera.  Ce rebord peint en blanc donnait l’impression d’être massif, un peu comme l’impression donnée par le rebord des arènes de NIMES qui lui est en pierre.  Ce n’était qu’une impression.  Il était confectionné en contreplaqué et lorsque la vache, sérieusement présentée au demeurant, a atterrit dessus, elle s’y est encastrée de telle manière, qu’y trouvant appui, elle a pu se propulser dans les gradins et créer une pagaille monstre dans tout le recinto de la feria.  J’étais assis à coté de Rafael TORRES et je dois avouer que la stupéfaction m’a laissé quelque peu paralysé dans un premier temps.  Je revivais pour la troisième fois un brinco al tendido.   Puis j’ai suivi TORRES pour essayer de garder le contact visuel avec la bestia, mais ce fut impossible.  La panique était générale et les gens courraient dans tous les sens.  J’ai appris, plus tard, qu’un des frères CAMPUZANO avait fini par immobiliser la vache.

« El Vuelo de Pajarito » – Murrieta / Hernadez Weber – Photo de Gilberto Marquina « El Economista »

Vous l’aurez compris, le quatrième saut, le 29 Janvier 2006,  est celui de « Pajarito » de la ganaderia de Cuatro CAMINOS, n° 167 né en Juillet 2001 et pesant 503 Kg.  La corrida est celle de la confirmation d’alternative de Xavier OCAMPO, protégé de l’Obispo de Ecatepec Monseigneur Onésimo Cepeda.  « Pajarito » devait être le toro de la confirmation.  Etaient au cartel Pablo Hermoso de Mendoza et Manolo Arruza.  Je suis assis entre mes amis Gaston RAMIREZ et sa compagne Maru SAAVEDRA et nous sommes en compagnie de la Tante de Gaston, Tia SOFIA, grande aficionada  devant l’éternel qui nous a quittée depuis.  Ce jour là, elle qui habituellement est assise à ses places d’abono (derecho de apartado) en deuxième rang de barrera au dessus du burladero de médecins de la plaza, Tia SOFIA s’est jointe à nous aux places du derecho de apartado de GASTON et MARU.   A la porte de Toriles un des portiers habillé de charro, avec un sombrero mexicain, tient entre les doigts un cigare, à la Morante.  Il regarde passer  « Pajarito » qui dès son arrivée en piste, sans jamais s’arrêter ou ralentir prend un virage à droite, et comme s’il avait vu une porte ouverte l’invitant à sortir, s’élance vers les barrières.  De nos places, au 10° rang au dessus de l’endroit où « Pajarito » a sauté, en voyant la course du toro de Cuatro Caminos,  je dis à MARU « va a brincar ».  Mais je ne pensais pas que ce serait jusqu’au tendido.

El Vuelo de Pajarito

Inutile de vous dire que nous avons parlés pendant longtemps de cet évènement et de la poisse que mes amis ont eu plaisir à me faire porter pour me taquiner.  Le livre consacré à cet évènement « El Vuelo de Pajarito » de Heriberto Murrieta et Sergio Hernandez Weber, dans lequel j’ai puisé la photo attestant de ma présence en cette journée historique, est une source de surprises et d’étrangetés.  Bien que de médiocre constitution, les pages se décollant facilement, il est par la qualité des photos un ouvrage qui mérite de trouver sa place dans la bibliothèque de l’aficionado.    En page 44 et 45 sont reproduites quelques unes des « Unes » de journaux Mexicains du lendemain, avec évidemment des titres racoleurs  et rieurs comme  » A CORRER »  ou « AY BUEY »  Mais un dont je me souviens, et qui n’est pas reproduit, m’avait enthousiasmé car très Mexicain dans l’humour et l’esprit.  Il titrait « Primero la CHELA »  ( d’abord la bière ).  On y voyait une photo avec divers spectateurs essayant de se retirer du chemin de « Pajarito » sans lâcher leur gobelet de bière.  Ce jour là il y eut de nombreux miracles.  Je ne vais pas vous conter toutes les histoires que j’ai lues à propos de l’évènement.  J’attirerai seulement votre attention sur le fait que là où Pajarito a sauté et atterri dans les gradins, au deuxième rang, la place était vide, la seule place vide à la ronde.  Ce siège n°126 du deuxième rang aurait du être occupé par Norma Lorena Wanless, poétesse et publiciste,  qui n’avait pu venir.  A sa place un blouson posé a reçu le premier assaut du burel.  Au premier rang était assis German Mercado Senior.  C’est par-dessus sa tête que Pajarito a volé.  Il ne lui est pas tombé dessus car l’arrière train de l’animal est resté suspendu quelques instants sur le cable tenseur avant de terminer sa course au deuxième rang.  En se dégageant du cable son arrière train a heurté et blessé l’épouse du Sieur German Mercado qui n’est autre que le père du ganadero du même nom qui était assis à ses cotés, séparé d’un espace servant d’accès aux tendidos.  Le ganadero de MONTECRISTO présentait ce jour deux toros pour la partie rejoneo.  Durant ces instants j’ai eu la conviction que nous assistions à une tragédie et que nombreux seraient les blessés.  Relativement parlant,  c’est véritablement à un miracle que nous avons assisté.  Le seul coup de corne fut une cornada fortuite portée, plus par inertie, à Julieta GIL.  Comme de coutume à la Plaza Monumental de Insurgentes, c’est le matin de la corrida que l’on donne le nom qui sera porté par les astados l’après-midi.  Celui de « Petit Oiseau » « Pajarito » fut choisi pour rendre hommage posthume à Raul de HARO , décédé quelques jours avant et dont c’était le surnom d’enfance.

Si je devais à nouveau assister à un saut de bicho, je ne manquerais pas de compléter cet article.  En attendant, n’ayez pas peur si vous me voyez sur les gradins près de vous, il n’y a, bien sur, aucun lien de cause à effet, je vous l’assure!  Plus sérieusement, de tels sauts sont le résultat du fait que les pattes arrières arrivent à se poser sur les planches de la barrière pour permettre à l’animal d’effectuer un deuxième saut à partir de cet appui.  Cela est possible dans toutes les arènes, ou presque toutes, et se reproduira probablement un jour.

Si vous lisez ces lignes et que vous avez vous même assisté à un de ces évènements ou tout autre similaire, partagez  avec nous votre expérience en laissant un commentaire.

 

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