Laisser sortir le toro de la muleta.

Parmi les nombreux critères qui doivent retenir notre attention lorsque nous assistons à une corrida, consacrons quelques instants à celui lié au fait de laisser sortir le toro de la muleta entre les passes.  Une faena se construit par un enchainement de séries, chacune d’elles composée de passes identiques et répétées ou de passes variées et diversifiées.  Chaque passe est construite sur la base de choix techniques qui sont le positionnement, la distance, la présentation de la muleta, le rythme, ainsi que l’expression corporelle artistique suivant la sensibilité et les dons de chaque torero.  Dans le cadre des choix techniques, le toreo moderne voit de nombreux maestros construire leurs faenas en laissant la muleta devant le museau du toro, enchaînant les passes sans qu’il soit possible de distinguer une passe de l’autre tant la continuité de la série est parfaite.  Ces enchaînements ininterrompus sont fort prisés car spectaculaires et le spectateur se prend à espérer qu’elle sera longue, sans scories.

Cette technique, que l’on appelle « tapar la cara », soit recouvrir la tête, est à l’origine un recours pour maintenir dans la muleta un adversaire récalcitrant qui aurait, par exemple ,tendance à fuir  ou qui aurait du mal à répéter et alors le torero le piège dans la muleta.  Lorsqu’elle est employée ainsi, la technique est pleine de signification et justifie, si elle réussit, l’approbation du conclave .  L’usage qui en est fait aujourd’hui n’est pas toujours celui-ci.  De nos jours la technique devient le fondement même de nombreuses faenas qui se structurent autour du « tapar la cara », quelques soient les caractéristiques des opposants.  L’avantage pour le torero est de pouvoir ainsi masquer ses choix techniques et distraire l’attention du public en l’absence d’expression artistique.  Tout disparaît au profit de la spectacularité de l’enchaînement ininterrompu, qui malheureusement, dans ces conditions, est dénué de sens et empêche le toro de s’exprimer.  Dans ces séries le toro ne voit jamais le jour et ne relève jamais la tête.

Pendant ces enchaînements, le torero prends, par définition et nécessité, une position marginale, hors de la trajectoire naturelle du toro et l’oblige à se mouvoir en ronds autour de lui sans jamais que son corps n’impose de changements de trajectoire au bicho ( cargar la suerte). Le défaut moral de cette technique vient du fait qu’il n’est pas utilisé en recours et qu’il s’applique à un toro dont le comportement ne le justifie en rien.  A un tel animal il serait noble de le toréer en laissant sa nature se révéler.  Pour se faire il faudrait que chaque passe d’une série ait un début et une fin.  Que la fin de chaque passe permette le meilleur enchaînement possible avec la suivante.  Le torero laisse le toro à une distance qui va lui permettre de se replacer et de le citer.   C’est seulement ainsi que l’on voit clairement les choix techniques de replacement adoptés par le torero.  Le toro en se retournant cherche sa proie.  Soit il relève la tête pour la viser et l’entreprendre, soit il conserve le museau au ras du sol et ré-attaque la muleta qui n’est pas sur sa tête, mais en retrait,  là où le torero s’est repositionné.  Cet enchaînement est d’autant plus spectaculaire qu’il laisse voir les nouvelles accélérations du toro entre chaque passe, si tant est qu’il ne soit pas épuisé ou arrêté.

Il ne faut pas confondre le « tapar la cara » avec le fait, pour le torero, face à un toro qui a tendance à sortir loin de la passe, de pivoter sur la jambe de sortie ( la gauche dans une naturelle, la droite dans un derechazo) pour déplacer l’autre jambe vers le toro, en se rapprochant de lui.  Dans cette technique, dont certains spécialistes disent qu’il s’agit du vrai cargar la suerte, le torero rapproche effectivement la muleta du toro pour enchainer la passe suivante, mais cela n’est en rien comparable au « tapar la cara » puisque le corps du torero est exposé et non marginalisé par rapport à la trajectoire naturelle du toro. Les intentions dans les deux techniques sont totalement différentes.

En conclusion, « tapar la cara » du toro, sans que son comportement ne l’impose, est un choix technique qui empêche le toro de s’exprimer et qui induit le spectateur en erreur en attirant son attention sur le spectaculaire, tout en masquant des choix techniques moins sincères.  Laisser sortir le toro de la muleta entre chaque passe est sans conteste le choix le plus noble.

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