L’imperfection du Toreo

Pour ceux d’entre nous qui lisons régulièrement les nouvelles taurines espagnoles  la déclaration de Diego Urdiales, dans les médias, commentée par El Juli, à propos du concept d’imperfection du Toreo, ne sera pas passée inaperçue. Selon Diego Urdiales:  ‘El toreo debe ser imperfecto porque tienes que dejar la puerta abierta a la inspiración y al alma’ » Le Toreo doit être imparfait parce qu’il faut laisser la porte ouverte à l’inspiration et à l’âme ».  El Juli a répondu par Tweet qu’il était tout à fait d’accord avec son collègue et ami.

L’affirmation semble simple mais elle mérite toutefois une interprétation nuancée.  Une imperfection ne se juge que par rapport à une perfection.  Il faut donc d’abord savoir qu’est-ce que la perfection dans le toreo.  Est-ce une technique aboutie, un courage sans faille, une beauté absolue?  Est-ce la combinaison des trois?  S’il s’agissait de la combinaison des trois préceptes alors on pourrait sans risque affirmer qu’aucun Torero n’a jamais maîtrisé les trois en continu.  Dans ce cas Diego Urdiales aurait enfoncé une porte ouverte et sa déclaration serait sans grand intérêt.  Aucun Torero ne pouvant alors prétendre à la perfection, tous seraient dans  l’imperfection envisagée par le Maestro.   Mais peut-on vraiment penser que ce fut son intention d’exprimer cela?

Je préfère penser que Diego Urdiales se référait plutôt à l’imperfection technique qui, si elle est alliée au courage, donne la beauté intense et profonde. En effet, le courage est le critère autour duquel se construit tout le reste qui se veut significatif.  Lorsque le courage est notable alors il est possible de compenser le manque de technique.  Par contre la technique ne compensera jamais le manque de courage.  Le beau intense et profond n’existe que dans la mesure où il s’appuie sur et est mis en relief par le courage.  S’il en était autrement il suffirait de s’émerveiller du toreo de salon sans toro.  Il ne s’agirait alors que d’un ballet dénué de sens, le sens que donne la prise de risque.  Cette interprétation est tout à fait cohérente avec la conception du toreo de Diego Urdiales qui applique une technique très simple, pure, se basant sur un courage notable en acceptant l’imperfection en contre partie de la recherche d’une beauté intense et profonde, aléatoire et difficile à obtenir.

Je m’interroge alors sur le Tweet d’acquiescement d’El Juli dont la conception du toreo est bien différente de celle de son collègue Urdiales.  Le Juli est ce qu’il y a de plus proche de la perfection technique.  Elle est mise en œuvre avec l’intention de forger une protection optimale de l’intégrité physique, même si cette protection demeure relative.  Parce que la recherche de la perfection technique prime,  le beau intense et profond passe au second plan.

Quand le toreo est beau, c’est quasiment toujours qu’il s’appuie sur une technique simple, pure, qui allie l’imperfection au courage. Une exception notable à cette constatation est celle du toreo d’Enrique Ponce qui lui aussi applique une technique quasi parfaite, avec un objectif de protection optimale, mais qui arrive aussi à développer une expression artistique qui n’a toutefois pas la même intensité que celle qui serait basée sur un toreo moins technique donc plus fragile.  La beauté du toreo de Ponce navigue entre la Beauté esthétique et la beauté intense et profonde en fonction des caractéristiques de ses adversaires et de son degré d’engagement personnel.

Camille Juan Demie Véronique Céret 2014

Camille Juan
Demie Véronique
Céret 2014

Diego Urdiales a, à plusieurs reprises, durant la temporada passée, obtenu des succès dans lesquels il a appliqué son précepte, à base de technique simple, donc imparfaite, et de courage, arrivant ainsi un résultat esthétique impactant et émouvant.  Ses naturelles à l’Adolfo de Madrid en Mai 2014 en sont un exemple.

Camille Juan  Derechazo  Adolfo Martin Céret 2014

Camille Juan
Derechazo
Adolfo Martin Céret 2014

Ce qui est intéressant dans la déclaration de Diego Urdiales c’est qu’elle insiste sur le beau fondé sur le courage plutôt que sur la perfection technique à laquelle nous nous sommes habitués dans la tauromachie moderne, au risque que nous passions totalement à coté de prestations à l’impact émotionnel important.  Et s’il fallait donner un exemple autre que celui de Figuras précitées,  je choisirais  la prestation de Camille Juan face aux Adolfos de Céret en Juillet 2014.  Son manque d’expérience, et donc de

Camille Juan  Derechazo  Adolfo Martin Céret 2014

Camille Juan
Derechazo
Adolfo Martin Céret 2014

technique, ne pouvait lui permettre la réalisation d’une prestation parfaite techniquement.  L’imperfection de son toreo était structurelle .  Pourtant lors de sa prestation, à son premier toro de Céret, il a connecté intensément avec le public car il a compensé l’imperfection par un courage qui était la seule manière pour lui de résoudre son équation.  Il l’a fait dans une faena courte qui a déclenché les Olés les plus intenses de la féria.  Pour ceux qui ne s’en souviendraient pas il suffit de regarder les vidéos de la Feria de Céret 2014 sur Feria TV et de comparer les bandes sonores de toutes les prestations

Camille Juan  Derechazo  Adolfo Martin Céret 2014

Camille Juan
Derechazo
Adolfo Martin Céret 2014

récompensées pendant la Féria.  Le résultat est édifiant.  Malgré cette évidence les chroniques avaient été très contrastées.  Certaines avaient perçu uniquement l’imperfection technique du torero alors que d’autres avaient ressenti l’intense charge émotionnelle de la prestation où l’imperfection avait été largement compensée par l’engagement et le courage.  Il y a donc eu des moments de beauté que les commentateurs obsédés par la seule technique n’ont pas vus. (Voir les photos)   Mais le public lui, dans l’instant, les a perçus et ressentis.

Camille Juan  Derechazo  Adolfo Martin Céret 2014

Camille Juan
Derechazo
Adolfo Martin Céret 2014

La ligne de fracture de l’imperfection est donc celle-là.  Soit on pense que seule la perfection technique est louable, soit on accepte qu’elle soit imparfaite pour autant qu’elle permette à l’artiste de créer le beau intense et profond à base de courage.  Autrement dit c’est l’exposition (le courage) qui donne du sens au beau et non pas la technique.  S’il en était autrement seul les techniciens seraient en mesure d’atteindre des sommets artistiques, ce qui évidemment n’est pas le cas.  L’histoire de la tauromachie est heureusement remplie de triomphes de modestes qui parce qu’ils sont imparfaits sont obligés de compenser avec autre chose pour triompher , à savoir le courage. C’est alors que peut jaillir l’inspiration.

Camille Juan Natural  Adolfo Martin Céret 2014

Camille Juan
Natural
Adolfo Martin Céret 2014

Pour moi, l’interprétation à donner à la déclaration de Diego Urdiales est que la technique seule n’est pas le sens de la tauromachie.  L’émotion intense vient d’ailleurs, de l’imprévisibilité générée par la sauvagerie du Toro et de la prise de risque du torero.  Et une des manières pour le torero de prendre des risques c’est d’accepter de ne pas tout baser sur la technique, donc d’accepter l’imperfection.

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Une réponse à L’imperfection du Toreo

  1. BRUN Gaby dit :

    « Le Juli est proche de la perfection technique ». Soit.Mais devant QUOI…………
    Il julipie et torer (bien il faut l’avouer) des wagons de frangins de Domecq et consorts.
    Pas de gestes (depuis le temps qu’il est dans le métier) à part un petit Miura à Nîmes.
    En + il est en accord avec URDIALES.Ferait bien de regarder le FANDINO et sa manière de tuer.

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