L’”affaire” des toros de “Reta de Casta Navarra” à Céret.

Samedi dernier, 17 juillet, avait lieu à Céret une corrida de toros très attendue car étaient annoncés des toros de « Reta de Casta Navarra » en première mondiale, pourrait-on dire, après plus d’un siècle de disparition des affiches des toros navarrais. Les produits de caste navarraise ne faisaient plus partie des corridas formelles et n’étaient plus à la mode car ils ne correspondaient plus au trapío exigé alors et, de plus, ils traînaient la réputation de leur «caractère» particulier, dureté et réactions brusques, mobilité et sentido développé.  Voilà près de vingt-cinq ans que, Miguel Reta originaire de Pampelune, ingénieur de l’Instituto Técnico  de Gestión Ganadera du gouvernement navarrais et aussi pastor connu des encierros de Pampelune…, s’est attelé à la réhabilitation de la caste navarraise dans son élevage de Grocin et finca «La Tejería». L’étude de l’ADN des races qui subsistent encore dans différents élevages navarrais, dont les produits sont réservés exclusivement aux  encierros populaires des fêtes de villages, a permis la «reconstruction» d’un nouvel élevage qui correspondrait mieux aux conditions de la tauromachie moderne selon les modèles de sélection habituels (choix des étalons – sementales – , et tientas). Ainsi, naissait l’élevage de Reta de Casta Navarra fruit des efforts de Miguel Reta, de sa foi et son défi aux lois du marché, en sa triple condition de technicien, éleveur et aficionado.  C’est donc en France, à Céret, que ce nouveau fer aurait la primauté d’être expérimenté et découvert. L’annonce de cette première faisait grand bruit avant et après la corrida formelle du dernier weekend taurin en pays catalan. En effet, le lot de toros choisi cette année était celui prévu pour la feria de 2020, annulée pour cause de pandémie de la Covid-19. C’était déjà un lot de présentation très respectable, les cinq ans bien sonnés, et l’ADAC (Associations Des Aficionados de Céret) dut demander l’autorisation à l’UVTF (Union des Villes Taurines de France) pour que soit dérogé le point du règlement taurin français qui impose la lidia de toros de moins de six ans pour que soient combattus des toros nés après le 1er janvier 2015. La demande ayant été acceptée, on pouvait dévoiler les photos des toros que devaient affronter Javier Sánchez Vara, Octavio Chacón et Miguel Ángel Pacheco déjà pressentis pour le cartel de 2020.

Les nombreux aficionados, français et étrangers (espagnols et autres) qui avaient fait le déplacement en terre catalane n’ont pas été déçus. En réalité, les présents purent assister à une corrida d’un autre âge, d’une tauromachie révolue et qui soudainement revivait. L’irréprochable présentation des toros navarrais, robe de feu, armés de terribles cornes, était à l’image de l’iconographie des toros d’antan, ceux d’aujourd’hui, si besoin était, plus volumineux que leurs ancêtres plus terciados. La réputation de ces derniers n’était pas démentie au cours de la lidia des six exemplaires résultats d’une «arquéologie ganadera» (sic) selon Miguel Reta. La mansedumbre, le sentido de ces toros,  la quasi impossibilité de les piquer selon les règles, étaient la note décevante et dramatique à la fois, tant et si bien que trois d’entre eux étaient condamnés aux banderilles noires (1er, 3ème et 5ème) et faisaient suer sang et eau aux cuadrillas et matadors. La fuite, les charges désordonnées et traitresses obligeaient les belluaires d’un jour, à rompre, à toréer « sur les jambes », et à ce jeu, le vétéran Sánchez Vara se sortait d’affaire avec vaillance et technique ad-hoc.

                                      

Dès le lendemain, les chroniques et messages sur les réseaux sociaux célébraient la résurrection de la casta navarra, le plein succès de cette corrida atypique et l’héroïsme des intervenants. Maintenant, se pose la question de la continuité de cette « expérience » compte tenu de la tauromachie actuelle et de l’intérêt du public, même aficionado, lorsque le combat de tels toros ne correspond plus aux critères classiques ou esthétiques du toreo moderne. La conservation de la génétique de la casta navarra est impérieuse et sa réhabilitation est fort louable. Il ne faut pas non plus cacher que la race du toro bravo est inhérente à l’existence dans ses gènes de doses de mansedumbre et de bravoure que les éleveurs doivent jauger pour la sélection de leurs produits. Cette disparité de comportement est l’essence même de la lidia mais c’est la bravoure qui doit primer. Il est sans doute exagéré et contradictoire de satisfaire les nostalgiques d’un style de toreo que l’afición actuelle n’a jamais connu et qui, néanmoins et à juste titre, déplore l’absence d’émotion des faenas modernes. Les fondamentaux doivent être conservés, la lidia, la suerte de varas, et l’on doit vanter les mérites des toreros qui daignent affronter des toros braves sans tomber dans l’excès des faenas impossibles qui, ponctuellement comme à Céret la semaine dernière, comblent un public particulièrement intégriste mais involontairement anachronique.

La gageure d’avoir ravivé la casta navarra doit permettre à Miguel Reta de poursuivre ses efforts de sélection afin de donner à ses toros le caractère qui permettrait une lidia complète tout en garantissant l’intégrité du spectacle, l’intérêt et l’émotion de l’aficionado.  C’est en tout cas le vœu que l’on doit formuler et souhaiter la conservation de l’encaste navarrais, son futur et son ouverture vers d’autres arènes espagnoles et un public plus large.

Georges Marcillac

Illustrations: 1 – les picadors tentent de « coincer » un toro pour le piquer! 2- Javier Sánchez Vara dans un derechazo de grand mérite – Photos de mundotoro.com

 

Ce contenu a été publié dans EDIT"O"PINION, Général, Georges Marcillac Escritos. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

3 réponses à L’”affaire” des toros de “Reta de Casta Navarra” à Céret.

  1. Michel Lalanne dit :

    « No te vayas de Navarra »
    Il aura fallu ce long lundi de février, fait d’ennui, de pluie, de froid et de vent dans mes chères Landes, pour me pousser devant mon ordinateur, cherchant à combler le vide d’un bien terne début d’après-midi. « Reta de casta Navarra » sur le moteur de recherche afin de retrouver le soleil d’un été 2021, certes contraint par le Covid, mais qui m’aura conduit à Céret, montera à la main, première fois oblige, afin d’y voir lidiés les toros de Miguel Reta. Tout ce qui touche à la Navarre m’attire… et c’est ainsi depuis mes premières Sanfermines en 1989. Je pourrais écrire durant des lignes et des lignes mon amour-passion pour ce territoire que je chérie et que je commence à bien connaître: ses vins, sa gastronomie, sa capitale Pampelune, ses fêtes, ses parties de pelote, ses musiques, les Navarraises et les Navarrais.
    Miguel Reta est de celà. Je le connais peu: juste quelques brèves discussions autour des corrales de la Plaza de toros de Pampelune, entre l’ encierro du matin où il officie en tant que pastore respecté et la corrida du soir; quelques échanges brefs par mail; la visite de sa ganaderia par mon épouse lors d’une sortie scolaire en terres navarraises avec ses élèves de BTS du lycée agricole de Mugron. Il était impossible pour moi de ne pas assister à cette première corrida. Une corrida dure, dangereuse, compliquée, sauvage, déroutante parfois, mais fruit du travail d’un homme passionné, téméraire, persuadé que cet encaste délaissé durant si longtemps, mérite sa place dans une tauromachie moderne parfois bien trop conventionnelle et consensuelle. J’ai pu frémir pour les trois hommes à pied et même me sentir gêné de regarder ce spectacle les mettant si souvent en danger mais, j’ai surtout vu, comme vous le mentionniez dans votre article, un bétail magnifique, avec un trapio de char d’ assaut, armé pour aller au combat… du bétail comme on l’aime dans les arènes de Pampelune, avec du caractère, du mauvais caractère même, mais qu’importe. Cette sauvagerie impressionne nos yeux d’hommes modernes, guère rompus à l’âpreté de tels spectacles, de tels combats. Nos vies souvent confortables ne nous préparent plus à comprendre pourquoi d’autres hommes se jouent la vie face à de tels monstres. C’est certainement d’un autre temps mais ce sont ces toros que Miguel Reta nous donne à admirer aujourd’hui et je l’en remercie. Je sais, car il me l’a dit, qu’il a pu repérer dans le comportement de ses bichos, sortis ce 17 juillet, certains signes positifs qui lui donnent de belles pistes de travail et beaucoup d’espoir pour la suite. Ce sera un chemin de très longue halène et j’espère de tout cœur que des arènes françaises et espagnoles lui donneront à nouveau sa chance.
    Pour finir, je voulais remercier l’ADAC d’avoir permis à Reta de montrer son bétail navarrais. Avant de commander mes places pour cette corrida, je ne connaissais pas cette association de passionnés catalans qui fait vivre la corrida telle qu’on l’aime. Je ne peux que saluer leur courageuse prise de risques qui montre que l’aficion française, avec un quasi lleno ce jour-là, reste attachée à la belle tradition taurine, malheureusement attaquée de toutes parts dans une époque qui se veut moderniste.
    Je voulais aussi vous remercier, Monsieur Marcillac, pour votre bel article qui m’aura permis de me sauver d’une après-midi bien mal engagée.

  2. Patrick Sabatier dit :

    Bonjour
    Je n ai pas pu être présent à Ceret cette année malheureusement et n ai donc pas pu assister à cette corrida de Casta Navarra. Je le regrette car, même si certains spectateurs n ont pas aimé cette tarde, je pense que j aurais bien apprécié ce type de corrida « d un autre âge », comme vous le dites, sans doute fort enrichissante sur le plan historique à une époque où la pratique de la lidia était bien différents de celle d’ aujourd’ hui.
    Patrick Sabatier 13300

  3. Manuel dit :

    Remarquable, votre article !
    Il est rare d’avoir des avis aussi bien sentis sur la caste navarraise. Juste un détail sans gravité aucune, les taureaux (et les vaches) de caste navarraise ne servent pas uniquement dans des encierros en Navarre, mais également des « bous al carrer » du Levant espagnol et dans des arènes, lors de concours de recortadores et lâchers (« sueltas ») du Levant, d’Aragon et de Navarre.
    Cette étape de la lidia à Céret de six exemplaires navarrais était indispensable pour constater le moment où se trouve cet encaste aujourd’hui grâce au travail de Miguel Reta. Vous souhaitez que Miguel Reta poursuive son travail de sélection et vous avez raison. Il reste du travail, ô combien !, et la route entreprise est semée d’attentes, d’embûches, de déceptions et de réussites.
    Nous avons pu assister en pays catalan à la résurgence en corrida formelle d’un encaste historique et essentiel dans le paysage ganadero de lidia d’aujourd’hui.
    Merci encore pour vos commentaires !

Répondre à Patrick Sabatier Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.