Pour le cas où cela fut nécessaire, précisons que le triomphe de Tomás Rufo n’a rien de commun avec celui de Morante la veille. Les critères du public de Séville sont devenus éclectiques et incontrolables. Si l’on devait juger les prestations d’aujourd’hui à l’aune de celles d’hier, il faudrait accepter l’idée de ne concéder à Rufo qu’une des trois oreilles.
Annoncée Jandilla-Vegahermosa toute la course, sobrero inclus, fut de Jandilla. Un lot soso, sans caste dont certains exemplaires avaient des charges prometteuses affectées par le manque de race des toros. La ganadería de Jandilla qui était la version piquante de Juan Pedro est devenue l’ombre de ce qu’elle était.
José María Manzanares reçoit son premier par des véroniques allant a más et engagées. Le jandilla vacille mais transmet par sa vivacité première. Oscar Bernal pique avec efficacité le toro qui pousse. Le matador replace mal le bicho pour le second picotazo. Pablo Aguado se fait accrocher la cape dans chaque lance de son quite par véroniques. Diego Vicente salue pour deux paires de banderilles classiques sortant avec élégance, mains relevées. La faena débute après tanteo sur la droite dans une série en deux temps, la seconde partie liée, sans profondeur. Le matador donne de la distance au toro pour « citer » puis tire des lignes dans lesquelles l’animal s’exprime. À gauche, il déborde quelque peu le torero. Les pauses durant la faena sont trop fréquentes et longues. Dans la série suivante, à droite, Manzanares commence à enrouler le toro sans trop forcer tout de même. Plusieurs séries se succèdent sans soulever l’enthousiasme du public. Entière. Avis. Palmas et salut.
Le second de Jandilla de Manzanares révèle une charge par le bas et longue dont le matador ne profite pas à la cape. Il pousse sous la première pique et sort rapidement de la seconde. Le matador tire trois derechazos lents que le toro ne supporte pas. Il répète l’exercice et le bicho termine sur les genoux dans la passe de poitrine. JMM veut profiter de cette charge de velours mais toute tentative de baisser la main conduit le toro à trébucher. Nous assistons à un toreo de salón avec carretón vivant. A la mort, l’estocade a recibir, portée avec précaution, résulte en pinchazo. Quant à l’entrée suivante a volapie. elle donne trois pinchazos et une entière. Silence.
Pablo Aguado exécute une longue série de réception avec des véroniques un genou en terre puis, debout, pour d’excellentes véroniques lentes et « templées » suivies d’autres désordonnées. La fébrilité et l’immobilisme du toro provoque des protestations et l’apparition du mouchoir vert. Le sobrero, de Jandilla aussi, ne permet pas à Pablo Aguado de s’exprimer à la cape comme avec l’exemplaire précédent. Le bicho pousse sous une carioca, puis pousse par à coups lors de la seconde pique. Quite distant par chicuelinas et revolera de tomás Rufo auquel Aguado répond par d’autres chicuelinas en forçant le toro à charger, l’ensemble vers la querencia de toriles. Le début de trasteo est brouillon pour ne pas dire quelconque. Dès la première série à droite, le bicho rend les armes. Le matador insiste pour la forme et le jandilla sautille sans envie de combattre. 3/4 d’épée d’effet rapide. Silence.
Pablo Aguado passe son second en véroniques anodines face à une charge, molle. Le jandilla s’emploi face à une pique relevée rapidement. La charge est somptueuse mais empreinte de sosería. La seconde pique est un simulacre. Quite de Rufo sans relief face à un adversaire fébrile. Juan Sierra doit saluer pour une prestation supérieure aux banderilles, les deux fois avec les cornes dans les chevilles au moment de l’embroque. Brindis au public. Les premiers ayudados sont suivis de toreo de main gauche qui allume la mèche. Le toreo suave du Sévillan n’arrive pas cependant à compenser la mollesse de la charge à droite. À gauche, une série est liée et le toro répond avec allant avant de fermer boutique. L’insistance du torero irrite certains et elle est applaudie par d’autres. Pinchazo puis entière trasera et tendida. Silence.
Tomás Rufo profite de la bonne charge de son premier pour réaliser des véroniques profondes et dominatrices terminées par larga après changement de main. Le matador exécute un quite de mise en suerte par delantales marchés. Les piques sont rapidement menées. Brindis au public. Le Tolédan débute la faena à genoux, toréant en redondo avec succès mais passant à côté du toreo fondamental que mérite la charge. Debout, à droite, il torée en redondos liés. Musique. Il agrémente ses séries de changements de mains et passes de poitrine enroulés. Sur la corne gauche, le trasteo est tout aussi efficace. Tomás Rufo maîtrise parfaitement le toque por fuera immédiatement tiré vers l’intérieur lorsque l’embroque est acquis. Il revient sur la corne droite pour parachever avec brio sa faena. Estocade entière, tendida, desprendida. Deux oreilles selon les critères actuels de la Maestranza. Palmas au toro.
Cette longue corrida entame son final par des delantales de Rufo en suivant le toro au centre et en terminant par une demi-véronique, compas ouvert. Encore un jandilla à la charge prometteuse qui s’emploie sous une pique mesurée et une seconde simulée, terminée en vuelta de campana. Andres Revuelta et Fernando Sanchez brillent au second tiers et saluent. Tomás Rufo entame son trasteo par des derechazos en ligne sans obliger l’adversaire. Lorsqu’il tire des courbes le public répond et la musique joue. La main gauche soulève les applaudissements et olés en seulement trois muletazos dont le dernier en tour complet sert de remate. Malheureusement le toro a perdu son entrain et la faena connaît une pause. Rufo insiste à droite entre toreo et arrimón avec l’approbation du public. Espadazo. Oreille et appalaudissements au toro.
René Arneodau