De la difficulté d’écrire une chronique taurine en langage courant.

Afin qu’une chronique de corrida puisse être lue par toute personne, aficionada ou non, il faudrait utiliser un vocabulaire des plus courants, de tout les jours, et trouver le moyen de faire que l’amalgame des mots, provoque chez le lecteur, une émotion et un plaisir. Poètes et écrivains y feraient merveille.  Mais la tauromachie est aussi une technique et ne pas s’y référer occulterait ce que l’Aficionado averti considère comme essentiel.

Qu’un amateur occasionnel ou débutant s’émeuve de la difficulté à lire une chronique utilisant un vocabulaire technique, d’origine espagnole, est tout à fait compréhensible et justifié. C’est exactement ce qui s’est produit récemment lorsque quelques lecteurs de Toreoyarte ont reprochés aux chroniques des corridas de Bilbao d’être trop axées sur un contenu de langue Espagnole, les rendant illisibles pour eux.  Il serait mal venu de ma part de ne pas comprendre ces avis, puisque mon parcours en Aficion a connu un passage identique où je ne comprenais pas ce que je lisais, et ce avec une certaine frustration.  Dont acte.  La philosophie de Terres Taurines est d’apporter un témoignage original, sincère, novateur et riche au plus grand nombre de lecteurs possibles.  C’est ainsi que j’ai perçu Terres Taurine à ses origines et c’est pour cela que je n’ai pas hésité un instant à l’invitation d’André VIARD de collaborer avec lui.  Même s’il existe une difficulté à marier détail, précision et compréhension, on ne peut accepter que des lecteurs se sentent exclus.  Il faut donc avoir une réflexion sur le sujet qui permette à tous de se retrouver au sein de la passion taurine.

I – Chronique – Description ou Opinion ?

Une chronique de corrida doit-elle véhiculer une description des faits ou chercher à transmettre une opinion qui en l’occurrence serait celle de l’auteur ou celle qu’il aura pour objectif de transmettre à ses lecteurs ?  Une chronique d’opinion ne s’encombrera pas de terminologie technique, d’autant plus que celle-ci peut tendre à brouiller le message souhaité.  Il sera plus efficace d’utiliser des adjectifs non spécifiques, superlatifs,  à propos du combat, comme « artistique », « magistral », « dominateur » plutôt qu’une terminologie spécifique comme « fuera de cacho » ou « al hilo » qui dévoilerait l’existence de recours techniques qui n’empêchent pas les triomphes, mais les mettent en perspective.

Il y a, à l’heure actuelle, une propension des médias spécialisés, pour des raisons qui leur sont propres, à survoler les prestations en utilisant à souhait des euphémismes et en évitant les sujets qui fâchent.  Il ne faut pas, bien sur, tomber dans l’excès inverse et tout critiquer ou exiger l’impossible.  C’est pour cela qu’une description factuelle et détaillée permet d’éviter de tels écueils.

On peut aussi discuter du vocabulaire qui doit être utilisé dans  une chronique.  Certains termes taurins espagnols trouvent effectivement une traduction simple et directe en Français et alors le chroniqueur peut sans aucune difficulté opter pour la terminologie française.  Quelques exemples sont boiteux pour « cojo »,  placement pour « colocacion » ,  fuyard pour « huidoso », épée pour « espada » ou lier pour « ligar ».  Il y a ensuite les cas où la terminologie taurine espagnole n’as pas d’équivalent direct et efficace en Français et dont la traduction implique l’utilisation de périphrases, comme par exemple pour « cargar la suerte », « fuera de cacho », « al hilo », « tremendista », « carioca » ou qui n’ont aucune traduction comme c’est le cas, par exemple, pour le nom des passes ( chicuelina, derechazo, larga, gaonera etc.. )  ou pour la description des pelages des toros ( castaño, Berrendo, colorado, cardeno, etc… ).  Parfois la traduction française générale n’emporte pas les nuances du vocabulaire taurin, comme par exemple pour les positions de l’épée ( desprendida, caida, baja, bajonazo qui sont des nuances d’épée de coté).

En conclusion, si on souhaite que le chroniqueur ne nous impose pas son opinion personnelle, il est souhaitable qu’il fasse une description technique de ce qu’il a vu, plutôt qu’une interprétation en envolée lyrique. Le fondement de cet exercice est l’utilisation de la terminologie tauromachique et du vocabulaire approprié en privilégiant, lorsque cela est possible, l’équivalent français, s’il existe.  L’aficionado devra, pour sa part, apprendre un minimum de vocabulaire et de concepts afin d’éviter d’être à la merci de l’opinion, non circonstancié, des chroniqueurs orientés.   En tout état de cause l’initiation aux termes techniques tauromachiques et à son vocabulaire n’est en rien aussi exigent que l’apprentissage d’une langue étrangère.  C’est bien évidemment un effort, mais il ne nécessite pas d’apprendre l’Espagnol.  Quelques propositions de lecture en Français pour l’apprentissage des concepts et du vocabulaire :

  • La tauromachie de Claude Popelin ( Seuil )
  • Dictionnaire Tauromachique – P. Casanova & P. Dupuy ( Jeanne Laffite )
  • Le Dictionnaire « Tauromachie – Histoire et Dictionnaire » sous la direction de Robert Bérard ( Robert Laffont )
  • Comprendre La Corrida de André Viard ( Atlantica )

La Tauromachie - Claude PopelinEncyclopédie de la Corrida.jpegDictionnaire Tauromachique_0001Comprendre La Corrida.pdf_0001La Tauromachie - Histoire et Dictionnaire

 

 

 

 

 

 

 

II – Le trop ennemi du bien ?

On peut se poser la question du degré de détail que doit donner la chronique.  Prenons un exemple de compte rendu des années 60:

« Il torée avec calme, à son aise et sait chauffer les gradins par des gestes valeureux, comme cette larga à genoux par quoi il salua son second.  Très bien à l’épée.  Un défaut : il remue trop les hanches quand il s’ajuste à ses toros , ce qui est déplaisant chez un homme »  Le torero en question avait coupé deux oreilles puis deux oreilles et la queue à Salamanca.

Une telle chronique laconique n’est pas le style que vous rencontrerez dans Terres Taurines.  En ce qui me concerne, je tendrais effectivement à pencher dans l’excès inverse et  à partager de nombreuses nuances que j’aurai relevées.  De cette manière je limite l’expression de mes opinions et je laisse le lecteur d’abord juger de la justesse de la description, s’il a vu la corrida, puis faire sa propre interprétation des éléments techniques de la faena en fonction de ses goûts et connaissances.

En tout état de cause la chronique ne dépassera pas le niveau de connaissance du chroniqueur.  Dans le meilleur des cas, elle offrira  des éléments informatifs utiles à tous les publics.  Du simple jusqu’au technique, ce dernier ne servant qu’à ceux qui sont en mesure de l’interpréter. Bien que cette proposition paraisse simple, elle n’est pas si facile à mettre en œuvre.  Le chroniqueur consacre, bénévolement en ce qui me concerne,  son temps aux arènes à prendre des notes, puis environ 85 mns pour la rédaction des chroniques après chaque corrida.  Mes notes sont prises en espagnol et je relate dans mes chroniques ce que j’ai vu en fonction de mes connaissances.  J’ai l’envie de commenter sur le Toro, sur le toreo, la pique, la brega, éventuellement le public,  tout cela sans être trop long et en essayant de ne pas passer à coté de l’important.  Il est d’ailleurs très compliqué de le faire lorsque le succès du torero est substantiel, et que les circonstances de ce succès appellent à le nuancer par la description technique de ce qui s’est déroulé.  Si on ne veut pas balayer l’ensemble d’un revers de main, par une opinion, il faut alors être circonstancié. Trouver les bonnes références et écrire juste ce qu’il faut sans en dire trop, n’est pas un exercice des plus simples.  Trop en dire peut être tout aussi préjudiciable que d’oublier l’essentiel.  Mais si une erreur est commise il vaut mieux qu’elle le soit, me semble t-il, dans le trop afin de laisser ensuite au lecteur le soin de trier ce qui l’intéresse.

Au début de l’apprentissage d’une langue on ne comprends pas tout.  Mais on n’abandonne pas sous ce seul prétexte puisqu’on est motivé et qu’on a la volonté d’aboutir.  Alors peu à peu on s’aperçoit que, de lecture en lecture, on optimise ses connaissances.   Il en va de même dans l’apprentissage des concepts et du vocabulaire tauromachique.

III – La tendance moderne du facile et du superficiel.

A une époque où nous sommes sollicités de toute part pour des activités superficielles, ne nécessitant que peu d’efforts, la tauromachie vécue avec aficion peut paraitre anachronique.  D’autant plus que les médias auxquels nous faisions référence ci-dessus, ainsi que les mentors du système tauromachique, ne verraient pas d’un mauvais œil que la corrida ne se résume, désormais, qu’à un « spectacle » moderne de consommation ponctuelle et rapide.  Pour l’aficionado elle n’est pas que cela.  Elle est bien plus.  Elle est le toro, sa caste, sa bravoure, la domination de celle-ci par un acte technique, tout aussi emprunt de bravoure, aux mains des Toreros. Et de cela, si nous, aficionados  n’en parlons pas entre nous que restera t-il de la corrida dans un monde de l’immédiateté et de la facilité, où tout doit être délivré sans effort avec un minimum de réflexion.  Je vous le laisse imaginer.  On en voit déjà les contours dans les ruedos toutes les après-midi de temporada.

Puisque des lecteurs nous en ont fait la remarque nous œuvrerons avec plaisir pour simplifier chaque fois que possible les comptes rendus.  Nous n’abandonnerons pas cependant notre philosophie qui est de mettre à disposition des éléments techniques qui ne sont pas toujours traduisibles.   Il n’existe pas, en effet,  de terminologie taurine française complète.  Historiquement le vocabulaire est empruntée de l’espagnol.  Il faut donc savoir que dans certains cas on ne choisit pas entre l’un ou l’autre, on utilise ce qui existe.  Il faut enfin comprendre que de ne pas utiliser du tout le vocabulaire tauromachique serait certes plus facile , mais moins sincère, car rapidement l’espace laissé libre ne pourrait être rempli que par une terminologie reflétant seulement l’opinion.

René Philippe Arneodau

Article écrit et publié pour Terres Taurines

 

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