La grâce – el indulto – dans tous ses états.

Le récent Congreso Nacional de Tauromaquia organisé par l’Asociación Nacional de Presidentes de Plazas de Toros  – ANPTE – les 27/28/29 octobre derniers à Madrid avait au programme, entre autres thèmes de discussion, celui relatif à l’indulto. Ce sujet épineux et controversé donnait lieu à des interventions animées de personalités du monde taurin telles Rafael Cabrera Bonet, Président des Bibliophiles Taurins Espagnols, François Zumbiehl, Docteur en Anthropologie et Guillermo López Martínez, Représentant de l’élevage de Conde de la Corte. Domingo Delgado de la Cámara était le modérateur du débat et de la table ronde “El indulto y su imprescindible exceptionalidad”.

C’est dire combien ce sujet récurrent continue de surprendre, pour ne pas dire inquiéter, face à l’envolée du nombre des indultos concédés au cours des trois dernières temporadas après l’interruption forcée de 2020 dûe à la pandémie Covid 19. Le 3 mars 2019, d’après les résultats enregistrés la saison précédente, j’avais publié dans ces mêmes colonnes un article sur ce même sujet, le 3 mars 2019, (voir ci-après) et on ne peut que constater que cette situation n’a fait qu’empirer.

toreoyarte.com/…/letat-de-grace-de-lindulto

Une récente étude d’André Roques, Responsable du CPAC – Corps des Présidents et Alguaciles de Corrida – de la FSTF, montrait que l’indulto était rarissime jusqu’à l’an 2000. Le premier indulto de l’histoire survenait le 24 juin 1857 pour le toro “Azulejo” de la ganadería de Romero Balmaseda Barbieri (il reçut 23 piques et tua 9 chevaux!) alors que jusqu’à 1900 on en comptait 11, de 1901 à 2000 seulement 41 alors que de 2001 à 2020 le nombre s’élevait à 308 soit une moyenne de 15-16 par an. Comme l’indique le tableau suivant, on voit que la “mode” de l’indulto s’est amplifiée.

Dans sa conférence intitulée La Bravura del toro, au Cercle de Bellas Artes de Madrid, en 1960, le célèbre matador Domingo Ortega (1906-1988) suggérait l’application de l’indulto. Le règlement taurin de 1962 n’en faisait pas mention mais annonçait une innovation importante: l’implantation de la cruceta en tant que butoir à l’extrémté des piques… mais cela est un autre sujet! C’est par Décret Royal 176/1992 du 28 février qu’est introduit l’usage du mouchoir orange et décrites les conditions de l’indulto dans les Articles 71 et 83. Jusqu’à cette nouvelle règlementation, l’indulto était traditionnellement réservé aux corridas concours, Álvaro Domecq y Diez étant l’artisan de cette pratique pour la préservation génétique de la race des toros braves.

La corrida de toros est soumise au Règlement Taurin Espagnol promulgué par Décret Royal 145/1996 du 2 février – toujours en vigueur – bien qu’en raison du régime espagnol des autonomies autonomes, les régions  Andalousie, Pays Basque (Euskadi), Castilla y León, Navarre et Aragón ont établi leur propre règlement taurin avec quelques variantes par rapport au règlement national. Ce dernier stipule que l’indulto du toro sera concédé lorsque seront remplies les conditions suivantes – Article 83:

  • Uniquement dans les places de première et deuxième catégorie
  • Trapío et excellent comportement du toro dans toutes les phases de la lidia sans exception (les trois tiers: suerte de varas, tercio de banderilles et faena de muleta – NDLR) avec pour but de son utilisation comme semental et conservation de la pureté de la race et caste des animaux
  • Le diestro le sollicite expressément
  • Demande majoritaire du public
  • Accord de l’éleveur ou son représentant, le mayoral (*)
  • Le président ordonera l’indulto en montrant le mouchoir de couleur orange
  • La mise à mort sera simulée à l’aide d’une banderille en remplacement de l’épée
  • Les trophées, une oreille, deux oreilles et éventuellement la queue seront remis en simulacre au diestro par l’alguazil

La définition des arènes de première et deuxième catégorie du règlement national se réfère aux affectations et dimensions de leurs installations, en particulier celles du ruedo dont le diamètre devra être compris entre 60 et 45 m. Cette dernière condition varie selon les règlements des communautés autonomes, le diamètre minimun étant réduit à 40 et 35 m, cette limite inférieure disparaissant du règlement de Castilla y León. De plus, ces plazas devront disposer de trois corrales et huit chiqueros ainsi qu’un patio de caballo et d’arrastre pour les manoeuvres de l’apartado et des dépouilles des toros. Il est bien évident que ces conditions ne correspondent absolument pas aux arènes portátiles, en un mot démontables, de structure métallique ou en bois, souvent installées pour les fêtes locales des villages, donc considérées de troisième catérgorie. Ainsi, le règlement basque et l’andalou interdisent l’indulto dans les arènes qui ne seraient pas permanentes, sans limitation relative à la catégorie de la plaza. Donc l’autorisation de l’indulto est étendue à la troisième catégorie ce qui, évidemment, laisse la porte ouverte aux abus et incongruités de la grâce accordée dans ces arènes.  Celles-ci, ne disposent pas toutes des installations nécessaires – chiqueros ou cajón de curas – pour soigner les animaux graciés et permettre leur retour dans de bonnes conditions à leur élevage d’origine. En outre, cela contrevient, évidemment, à la morale actuelle  liée au principe du bien être animal que la société moderne prétend vouloir défendre autant que les aficionados quoique en pensent les animalistes et anti-taurins.

Cobradiezmos nº37 12/11 562kg de Victorino Martín. Le dernier toro grâcié à Séville le 13 avril 2016

Cobradiezmos nº37 12/11 562kg de Victorino Martín grâcié à Séville le 13 avril 2016

La dérive actuelle de l’indulto mérite reflexión et c’est justement lors du congrès de fin octobre que se sont penchés, du point de vue pratique et, pourrait-on dire même, philosophique, les intervenants et le groupe de travail créé à cet effet. Épargner la vie d’un toro peut être ressenti comme le summum de la corrida de toros mais aussi comme une contradiction qui choque l’esprit puriste mais aussi réaliste des aficionados les plus avertis. La mort du toro est inhérente à l’espèce créée par l’homme qui perpétue le rituel payen du sacrifice de l’animal porteur et vecteur de puissance et fertilité. Elle est la substance même de la corrida. Sans la mort du toro, la corrida perdrait son sens, celui d’exister, de son cérémonial et déroulement. C’est par cette mort que le matador met en jeu la sienne, lui donnant toute sa valeur et la parant d’une éthique qui ne peut être tergiversée. L’évolution des moeurs, l’occultation et le refus de la mort et la sensiblerie exacerbée de la société actuelle, pourraient trouver la justification ou une bonne raison pour valoriser la non-mise à mort du toro. De là, vient sans doute, dans l’enthousiasme de la fête et le non respect des règles, cette demande fréquente de l’indulto.

Dans la pratique, c’est la faena de muleta qui est surtout remarquée et, au moindre signe de velléité d’indulto de la part du public, le matador de service fera tout, souvent par des gestes vers la présidence, pour que soit montré le mouchoir orange qui le libère de la suerte de matar et le garantit d’un succès sonnant. Ne dit-on pas que fulano – un tel a “indulté” un toro? Cette formule, galvaudée à l’extrême, doit être bannie des reportages et jargon des journalistes taurins. C’est le toro qui mérite et gagne la grâce par son combat dans l’arène. L’écrivain José Bergamin (1895-1983) en un poème de La claridad del toreo (1983) considérait que gracier un toro, c’était trafiquer avec son âme et lui voler sa mort. C’est dire que la mort du toro est “consubstantielle” de sa propre nature et que lui pardonner la vie relève presque du sacrilège. A tel point que l’indulto doit être une décision exceptionnelle prise par des présidents de plazas de toros, garants du règlement et de sa cohérence, comprise et consensuelle de la part du public. L’hypothétique règlement unificateur devrait faire l’objet d’un amendement pour rester dans l’esprit de l’indulto. Celui-ci consisterait à exiger au moins trois assauts et piques pour l’épreuve dominante de la bravoure, la troisième pique étant éventuellement administrée à l’aide du regatón.  Et que, par ailleurs, soient patentes les qualités de charges de l’animal au cours des deux tercios suivants. De même, l’octroi des trophées doit être mesuré en fonction de l’attitude du torero face au comportement du toro et que disparaisse le triomphalisme invariable et surfait du matador qui exhibe les oreilles (et la queue?) d’un toro… qu’il n’a pas tué! Pour cela, la révision des règlements taurins, – nouveau règlement français en gestation – s’impose pour que cette question de l’indulto ne tombe dans la pantomime. Ainsi, la corrida gagnera en sérieux et prestige, les toros exceptionnellement braves pourront remplir leur fonction de sementales et pourront ainsi assurer leur descendance et la perennité de la race dans leurs élevages respectifs, telle étant la condition extrême pour justifier et donner toute sa sginification à l’indulto.

Georges Marcillac

(*) La première photo montre le retour au corral du toro Veronés nº 21 de 535 kg né en février 2018 de Victorino Martín combattu par Antonio Ferrera à Algeciras (2ème catégorie) le 24 juin 2023. Le ganadero, Victorino Martín García, n’a pas tenu compte de l’indulto et a décidé de sacrifier ce toro méritant n' »étant pas convaincu de le garder comme semental« ; de plus, le président de la corrida n’avait pas daigné demander l’autorisation de l’éleveur pour accorder la grâce comme le réclame le règlement en vigueur. NDLR.

 

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Une réponse à La grâce – el indulto – dans tous ses états.

  1. Ferdinand DE MARCHI dit :

    Bravo pour cet article.

    Tu pourrai le proposer à la revue  » TOROS « , à moins que cela ne soit déjà fait.

    Un abrazo.

    Ferdinand

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