TRAPIO DU TORO DE LIDIA

La morphologie du toro de combat fait l'objet d'un vocabulaire descriptif riche et spécifique, repris par des ouvrages spécialisés qui en détaillent la terminologie.   La morphologie du toro est influencée par son encaste (gènes), sa sélection et son élevage, autrement dit ses origines , les choix de père et mère effectué par l'éleveur et le type de nourrissage, d'attention, de soins donnés par lui.

Chaque lignée porte en elle des critères qui la distingue des autres, qui conditionnent autant l'apparence que le comportement.  Puis il y a la touche apportée par chaque éleveur dans le processus de sélection et d'élevage.  Des lignées de même origine historique peuvent connaitre, sous l'influence des éleveurs, des évolutions différentes.  Ensuite le Toro élevé est mis à la disposition des acteurs de corrida et il subit encore une nouvelle sélection.  Celle-ci s'opère d'abord entre élevages, puis entre congénères dans l'élevage retenu. Ce dernier choix est réalisé par les représentants des toreros, lorsque ces derniers sont en mesure d'exiger bien évidement.  Lorsque ce n'est pas le cas, le dernier stade de la sélection s'opère soit en fonction des goûts du public (Ceret, Vic Fesensac, Bilbao, Madrid, Pamplona par exemple) soit en fonction de contraintes budgétaires qui peuvent avoir pour conséquence que le ganadero insatisfait du montant qui lui est proposé sélectionne les bichos dont il est prêt à se départir mais pas nécessairement les plus beaux.  Enfin le stade extrême de la sélection à ce stade est celui où rien ne quitte le campo pour être lidié en corrida formelle.  L'éleveur n'est pas contacté, il vend ses toros à d'autres activités que les corridas ou il les envois à l'abattoir pour récupérer le prix de la viande.

A l'issu de ce triage certains exemplaires iront donc au combat et d'autres suivront d'autres chemins (le rejoneo, les recortes, la rue, les abattoirs) .  De l'ensemble de ces processus résulte le Trapio des toros combattus en corrida.  Parmi les exemplaires qui n'iront pas aux arènes il y a certains des exemplaires les plus beaux de la camada brava.  Le public de corrida ne les verra jamais.  Pourtant ce public pourrait et devrait avoir une influence sur la présentation du toro de combat en piste.  Il n'a, dans les faits, qu'une influence très marginale sur le sujet.  Le trapio est une composante qui, de facto, est déterminée en amont du jour du combat et cette décision est entre les mains des éleveurs, des toreros, des empresas et des vétérinaires des plazas, dans des rapports de forces variables.

Il existe au sein du mundillo une opinion selon laquelle serait apparu un toro "disproportionné", résultant de l'exigence de certaines strates du public et des vétérinaires, qui serait la cause des déboires passés et actuels de la fiesta.  D'après cette théorie l'excès de corpulence, c'est-à-dire un trapio excessif en surpoids, exigé et imposé par des extrémistes malveillants, aurait causé la dégénérescence et la perte d'intensité du combat vécu dans le ruedo.  De cette vision est issue la conception selon laquelle la solution au renouveau de la corrida serait l'allègement du toro de lidia afin de faciliter sa mobilité qui, effectivement, est un facteur essentiel d'émotion dans la corrida, mais certainement pas le seul.  La question qu'il convient de se poser est celle de savoir si le poids et la morphologie du toro de combat sont des facteurs déterminants de sa mobilité, de sa combativité et de sa bravoure.

Les règlements taurins prévoient un poids et un âge minimum pour les toros en corrida formelle. Ces deux facteurs objectifs devraient, en soi, assurer des gardes fous contre les excès tendant à faire combattre des animaux jeunes et sous développés.  A partir du moment où l'animal aurait l'âge requis et le poids minimum requis,  son intégrité serait assurée et la dignité et la sincérité du spectacle serait préservées. Cet argument est défendu par certains professionnels de l'élevage, du toreo et de l'organisation de spectacle, ainsi que par un certain nombre d'aficionados.

Toutefois la question de l'âge des toros est aussi un sujet qui, depuis des décennies, ne cesse d'alimenter les discussions.  Le guarismo, les herbes, les fraudes sur l'âge, sont des motifs de polémiques et de discordes.  Et lorsqu'on parle de ces notions d'âge, d'herbes on touche également au sujet du trapio car au plus on tente de lidier un animal jeune, au plus on risque d'être obligé, pour compenser son sous-développement, d'exagérer sa croissance dans les derniers mois de sa vie et donc de faire que la prophétie se réalise, à savoir que le poids pris en excès et trop rapidement rende le toro impropre au combat car incapable de s'exprimer.

Je vous propose de mener une réflexion autour de sujets comme le poids des toros, l'esthétique du toro de combat, l'étique de la présentation du toro de combat.

  1. Le poids et le trapio.

Partons, pour débuter le raisonnement, de ce que nous explique LE COSSIO à propos de la terminologie TRAPIO: "Buena planta y gallardia del toro de lidia" définition reprise du Dictionnaire de la Royale Académie Espagnole dans laquelle "la planta" se réfère à l'apparence et "la gallardia" au comportement. Puis le COSSIO nous explique que le mot vient de la terminologie marine "velamen" dont le dictionnaire espagnol donne comme synonyme "trapo", l'ensemble se référant à la voilure marine. L'intérêt de cette définition est qu'elle fait ressortir les deux composantes de ce qui constitue le trapio, l'apparence et le comportement.

La composante physique, la "buena planta", est ce que les experts nomment le phénotype qui est la manifestation externe de l'héritage génétique. L'Autre est le comportement, la "gallardia", issu du génotype dans lequel nous recherchons et admirons la caste, la bravoure et la noblesse spécifique au toro de lidia.

Ce point de départ est intéressant en ce qu'il lie les deux caractéristiques.  En effet le toro de combat est un animal unique en ce qu'il dispose de cette "Gallardia" qui en a fait un partenaire ayant permis l'invention du toreo,  cette rencontre unique entre l'homme et cet animal, impossible avec quelqu'autre espèce animale à ce degré de créativité artistique.  Mais cette "Gallardia" est insuffisante au terme de la définition de TRAPIO puisqu'on lui adjoint la notion de "Buena Planta" qui elle fait référence à des caractéristiques purement physiques.  Le TRAPIO est donc la combinaison indispensable des deux critères.

Certes dans le langage courant de l'Aficionado, TRAPIO se réfère principalement à l'aspect physique, caractéristiques externes du toro.  Mais il est logique de considérer que le physique et le comportement influencent tous les deux l'émotion ressentie par l'Aficionado.  Un toro de magnifique corpulence combinée à un manque de mobilité, de bravoure, ou de combativité, retire à l'expérience toute l'intensité qui aurait du être s'il y avait eu "Buena Planta" et "Gallardia" réunis.  Aussi un toro au comportement extraordinaire, mais au trapio moyen ou médiocre laissera à l'Aficionado une sensation de manque puisqu'il n'aura pas ressenti ces frissons résultant de la peur ressentie à la vue d'un toro superbement présenté.  Et si par malheur on se retrouve en présence d'un bicho terciado, c'est-à-dire physiquement peu développé, et que de plus il est peu doté en "gallardia" l'aficionado pourra être habité par une sensation de confusion à la vue de ce qui pourrait apparaitre comme un animal impropre au combat.

Nombre de professionnels décrivent  en détail  les caractéristiques nécessaires pour qu'un toro ait des chances d'embister, c'est-à-dire d'attaquer par le bas.  Ils font référence à la longueur du cou, l'anatomie horizontale de son corps versus une physionomie "montada" (c'est-à-dire en pente montante de l'arrière vers l'avant du corps),  la hauteur du garrot, l'ouverture des cornes, etc....  Ils insistent aussi souvent sur le fait  que le manque de mobilité et de combativité des toros est essentiellement la conséquence de son surpoids.  Ce qui est gênant dans cette argumentation est qu'on y voit apparaitre la justification de la sélection du toro petit, bonito, et inconséquent.  Mais le piège inverse n'est pas à négliger qui serait que pour faire accepter des carences de "Gallardia" (de bravoure et d'agressivité) on accentuerait certaines caractéristiques physiques, comme le poids.  L'apparition des fundas est à classer dans la même catégorie de raisonnement fallacieux et d'effet pervers.  En effet, elles permettent de doter certains toros d'une paire de corne à l'apparence irréprochable mais sur une morphologie qui peut être incomplète, insuffisante,  et, surtout, avec des effets néfastes sur le comportement et la sincérité du combat, puisque les fundas retirées tardivement ne sauraient être considérées comme autre chose qu'un "afeitado" sans perte de matière.

Les professionnels qui défendent la théorie du poids excessif des toros, argumentent sur la nécessité d'adapter le poids en fonction de l'évolution du spectacle exigé par le public.  Ce point de vue est défendu par des ganaderos de renom comme Alvaro Domecq dans son livre "EL TORO BRAVO".  Il écrit dans le paragraphe "EL PESO Y EL TRAPIO" "El toro de hoy tiene cuatro o cinco años y para que se "vean" los engordamos" "No es ninguna tontería que el toro gordo de esta manera le debe costar más trabajo moverse y, por tanto, tiene que ser más bravo, porque no solo se mueve, sino que, además, tienes que arrastrar más peso".

" Le toro d'aujourd'hui a quatre ou cinq ans et pour qu'il ait de la gueule on le fait grossir".  " Il n'y a rien d'étonnant à ce que le toro engraissé de cette façon ait plus de mal à se mouvoir, alors qu'il doit être plus brave non seulement pour se mouvoir mais aussi pour trainer son poid".  Cette déclaration aurait pu être faite par d'autres ganaderos de l'encaste Domecq.

Ce même raisonnement a été exprimé dans les années 80 par des journalistes de renom comme José Antonio DEL MORAL ou José Carlos AREVALO.  On retrouve dans la revue Toros du 28/03/1982 n° 1173 la trace d'une conférence donnée par ces érudits à propos des déboires incessants dans les arènes de Madrid.  Ils reprochent aux Toros d'y être énormes, pointent du doigt les mauvais ganaderos, le public désorienté, hétérogène dont un secteur antagoniste et hostile, et la prolifération de toreros de second plan.  Ils se font clairement partisans du toro moderne avec moins de poids face aux figuras de premiers plan, en appelant de leurs vœux, la réduction de l'escalafon.

Mais cette opinion n'est pas la seule et je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous les paroles de Victorino Martin fils, interviewé sur Canal Plus Espagne par Manolo Moles, il y a quelques années, disant la chose suivante:

"Dans les années quarante, cinquante et soixante le toro brave disparaît d'Espagne … On recherche un toro plus agréable ("comodo"), plus facile …  Dans les années quarante et cinquante on enlève aux ganaderias de la caste, de la tête et du volume."

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Si vous n'avez pas encore lu le reportage sur la Ganaderia du Conde de la Maza dans Terres Taurines n° 43 je vous convie à le faire.  Leopoldo Sainz de la Maza e Ybarra, III° Conde de la Maza, partage un point de vue tout aussi direct à propos de l'élevage du toro de combat dans les temps actuels.  Il décrit sa philosophie de la sélection des toros ainsi : "Je cherche un toro volumineux et très armé et je choisis celui qui correspond à ces critères dans le troupeau et je le mets sur les vaches"  Terres Taurine N° 43 p139.  Vous pouvez également écouter Don Leopoldo s'exprimer très candidement dans l'émission "Tierra del toro" ici http://www.youtube.com/watch?v=3zvglfGNRH4 .  Il nous y donne son point de vue quelque peu pessimiste mais qui a l'avantage de démontrer que tous les ganaderos ne pensent pas la même chose.

On sent bien qu'il existe autour de la notion de Trapio des tensions philosophiques avec souvent une confusion, volontaire ou non, entre les termes poids, volume et trapio.  Une opinion issue des tendances imposées dans les années 40 et 50 favorable à la mise en exergue d'une conception allégée du toro, a pour conséquence un rapetissement du prototype du toro, qui sera concomitante avec une réduction de la caste, de la combativité et de la bravoure, car cette perte de combativité rendra nécessaire un allégement qui seul pourra permettre encore un peu de mobilité.  Cette filiation, instituée à l'avantage exclusif des figuras, aurait tendance aujourd'hui a vouloir rendre trapio synonyme de poids pour mieux discréditer le terme trapio.  Ce sont les mêmes qui ont critiqué le retour de balancier des années 70 et 80 lorsque le poids excessif des toros a été pointé du doigt pour expliquer les chutes des toros à cette époque durant laquelle d'autres fustigeaient les excès dans la recherche de noblesse au lieu de la caste comme motif des déboires.  On peut lire à ce sujet dans le numéro 1128 du 8 Juin 1980 en page 1 de la revue Toros un avis contemporain qui résume comme suit la situation du moment.  "La Féria de Madrid paraît sombrer depuis quelques années dans la médiocrité et la confusion … … Les Empresas successives semblent accumuler bévues et maladresses … … On parlait d'économies de bout de chandelles … … changements de ganado inexplicable, inconséquence des vétérinaires, les excès du public …"     

Pour m'imprégner de cette période réfractaire j'ai relu les chroniques de San Isidro des deux décennies, 70 et 80,  dans la revue TOROS.  Cette relecture a été à la fois instructive et triste.  Triste parce qu'on y décèle l'immense gâchis de toro brave, avec une succession de corridas aux lots entièrement refusés, des corridas "remendadas" (complétées) courues en patchwork de bichos dont le point commun était le manque de force et de caste. Seuls quelques exemplaires et quelques ganaderias surnageaient.

Le premier coup de gueule relevé dans la revue toros c'est Pierre Arnouil  qui le donne en 1978 n° 1080 du 25/06/78 p 1.  Après une litanie de reproches incluent les mauvais cartels, prix excessifs, toros imprésentables, humeurs du public, préoccupations des vétérinaires, le poids excessif des chevaux de picador, les changements de programme de dernière heure.  il fait allusion, pour éclairer le lecteur,  aux manœuvres autour de la volonté de changement d'Empresa à Las Ventas.  Comme quoi peu de choses changent et le mundillo aujourd'hui comme par le passé passe plus de temps à se préoccuper de ses intérêts que de l'avenir de la fiesta.  D'où la nécessité pour l'Aficion de ne pas baisser les bras.

Donc dans ces années terribles on constate effectivement que les vétérinaires de Madrid imposent une loi peu efficace en ce que les refus répétés de toros ne garantissent en rien le résultat des corridas.  La majorité des spectacles est marquée par le manque de caste et de forces des opposants.  Beaucoup de toros sont atteint de boiteries réelles ou supposées et les triomphes ne sont pas légions.  Toutefois ce qui est étrange c'est que, lorsque triomphe il y a, ils sont le fruit de combats avec des toros qui ont des poids comparables à ceux qui sont critiqués pour excès de poids.  Il est encore plus curieux de constater que les poids considérés commes excessifs à l'époque sont comparables avec les poids des Toros combattus de nos jours.  Et pourtant les corridas de nos jours ne connaissent plus les chutes endémiques des décennies 70 et 80.  Aujourd'hui de nombreux Toros ont du mal à se mouvoir, et les toreros sont obligés de multiplier les toques, et de tirer de leur léthargie leurs opposants.

Les vétérinaires des années 70 et 80 ont été accusés d'avoir imposé des critères de poids excessifs et d'être à l'origine de "bailes de corrales" insupportables.  On note cependant que certains Toros  sortaient en piste avec des poids annoncés en dessous ou autour de 500KG, ce qui semble indiquer qu'il ne s'agissait pas que d'une règle de poids stricto sensu.

En effet, le vainqueur toute catégorie parmi les ganaderos de l'époque est Victorino Martin dont les chroniqueurs de "Toros" sont unanimes pour dire que ses lots sont impeccablement présentés, avec ou sans poids.  Les Toros du magicien de Galapagar sortent avec des chiffres de bascule allant de moins de 500 kg à plus de 600 Kg.  Ceci veut d'abord dire que ses toros passent les reconocimientos quelques soient leurs poids.  Ceci est probablement à mettre sur le compte de leur trapio, ce que confirment les chroniques, et lorsqu'ils sont lourds c'est leur caste qui les portent et leur donne de la mobilité.  C'est le cas également pour d'autres élevages  qui arrivent à lidier des lots complets, parfois encastés, même si c'est avec moins de régularité que Victorino, tels Hernandez Plà, Alonso Moreno, Miura, Luciano Cobaleda, Cuadri.  La valse des corrales de l'époque n'est donc pas due qu'à un manque de poids des animaux présentés.  On constate, d'ailleurs, que des toros avec beaucoup de poids sont décrits dans les commentateurs comme étant justes de cornes et mal présentés.  On sent bien que le poids est le subterfuge proposé par certains pour justifier le passage des reconocimientos.  Enfin, lorsque triomphe il y a, ils sont acquis avec des animaux dont le niveau de poids est, en d'autres occasions, considéré comme excessif.  La vérité est probablement que les toros se meuvent lorsque leur caste et leur bravoure les y incitent.

La chute des Toros de combat est un problème qui est semble t-il sous contrôle de nos jours. Il y a moins d'excès en matière de poids des toros lidiés.  Ceci n'empêche pourtant pas l'argument de l'excès de poids de persister pour stigmatiser la difficulté actuelle de nombreux toros à avancer et à attaquer.

Tout le monde peut s'accorder pour dire que l'excès de poids instituée en règle péremptoire est une absurdité.  Tout autant que son utilisation pour discréditer toute opinion relative au trapio.  Le poids n'a rien à voir avec le trapio . Le trapio est une caractéristique souhaitée et nécessaire par rapport à l'éthique.

L'expérience montre qu'il n'y a pas de lien de certitude entre les caractéristiques physiques des toros et leur comportement.  Si cela était le cas il serait aisé pour les ganaderos de sélectionner les toros destinés à être combattus, en prédisant à coup sûr le triomphe de tel ou tel exemplaire. Pourtant ces hommes qui sont les mieux placés pour évaluer leur bétail, ne sont pas à l'abri de terribles déconvenues. L'Aficionado sait bien que l'acceptation de l'incertitude et de l'échec fait partie de notre passion.  Nous devons aller aux arènes en acceptant le fait que l'on puisse ne pas voir de triomphe.  Si l'on désire la sauvagerie, l'adversité, le danger et qu'on espère l'Art, on doit être réaliste et admettre qu' une telle combinaison a une probabilité de succès incertaine.  Dans le spectacle moderne, les acteurs partent du principe qu'il faut inverser la logique, supprimer l'incertitude, garantir la probabilité de résultat, donc supprimer la sauvagerie, le danger et l'adversité.  Alors dans cette volonté de lissage de l'expression tauromachique la notion de trapio devient une variable d'adaptation.

Nous savons tous que le premier acte de sélection réalisé par les représentants des toreros se fait sur le choix d'un élevage pour sa probabilité de fournir des toros "collaborateurs".  Puis, dans l'élevage sélectionné, il arrive que ce soient les exemplaires les moins menaçants physiquement qui soient retenus.  Les professionnels ont un avis marqué à propos des caractéristiques physiques des toros susceptibles de favoriser la capacité à embestir. Cependant ces critères ne sont pas ceux recherchés en premier lieu au vu de ce qui est couru en piste.  En tout état de cause ce ne sont pas ces critères qui fournissent une quelconque garantie de résultat à qui que ce soit.  Car la caste et la bravoure resteront toujours le critère prépondérant dans la réussite du combat.

Le trapio est tout sauf le poids.  Le véritable trapio intimide, il fait fait peur, il donne de l'importance à l'acte, de la dramaturgie aux évènements et du sérieux au rituel.

Je vous propose un exercice sous forme de deux questions :

  • A votre avis, des deux colonnes de photos ci-dessous, de laquelle diriez-vous qu'elle contient les toros au trapio le plus impressionnant?
  • Des deux colonnes laquelle contient les photos de toros au poids le plus élevé ?

Je vous propose les poids en fin d'article afin que vous puissiez tirer vos propres conclusions.

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2.   Le Trapio une somme aléatoire de caractéristiques reconnaissables.

La notion de trapio ouvre la porte à une multitude de combinaisons aléatoires.  Il n'existe pas une seule définition de caractéristiques nécessaires à l'exigence de trapio.  Ni le poids, ni les cornes, ni le volume, ni la hauteur au garrot, ni le morillo, aucun critère pris indépendamment n'est suffisant pour définir le trapio. Les combinaisons possibles sont infinies, d'autant plus que des notions comme le pelage ou le regard de l'animal viennent également influencer la perception que l'on a en a.  Et cette perception évolue durant le combat.

Le trapio est une notion large, subjective, mais très forte et même parfois violente.  Est trapio, toute combinaison de caractéristiques qui génère chez l' "homme" une réaction d'admiration, de respect, de sérieux et de peur.  Ce n'est pas l'analyse détaillée des caractéristiques qui fait le trapio, c'est la perception qu'en a le plus grand nombre.  Il existe une frange du public qui se rend aux Arènes sans recherche d'émotion résultant du trapio.  Mais il est rare qu'un spectateur reste insensible à l'émotion suscitée par le vrai trapio.

Les professionnels aiment à voir dans les caractéristiques physiques des toros des critères qui favoriseraient la charge par le bas et donc le bon toreo.  La réalité est bien plus aléatoire et le risque est que cette recherche de critères, supposés objectifs, ne favorise aussi, la minimisation du trapio.  Voyez l'opinion d'Alvaro Domecq dans son ouvrage "El Toro Bravo" chapitre "El peso y el trapio" :  " La selección por la bravura afila, empequeñece los toros, querámoslo o no…  La verdad  no es el toreo actual quien nos ha hecho producir el toro pequeño.  Es la aparición del toro pequeño por motivo de la selección y otra serie de motivos, entre ellos la rapidez de nuestro tiempo, lo que ha hecho crecer las formulas del toreo moderno".  Selon cette déclaration il faudrait comprendre que la recherche de la bravoure chez le toro aurait eu pour conséquence de réduire spontanément leur taille.  Ce n'est évidemment pas l'opinion exprimée par d'autres ganaderos comme ceux cités plus haut, qui eux semblent penser qu'il est tout autant possible d'effectuer des sélections relatives à l'anatomie des animaux.

Comme le montre la lecture des ouvrages spécialisés, la morphologie du toro de combat peut-être décrite par sections de l'anatomie, la tête, le cou, le tronc, les membres et la queue.  On décrit les toros aussi par les couleurs du pelage et les nuances de morphologie.  Enfin la description des cornes complète l'ensemble.  Pour parfaire nos connaissances nous proposons la lecture des ouvrages :

Toro de Lidia"Caracteristicas Morfologicas Externas Del Toro de Lidia"   Dr Carlos Pérez Santos.

 

 

 

Pelajes y Encornaduras"Pelajes y Encornaduras del Toro de Lidia"  Adolfo Rodriguez Montesinos

 

 

 

Tous les Aficionados s'accordent sur l'harmonie du toro de combat.  Reste qu'il y a au moins deux conceptions de l'harmonie qui s'opposent.  Il y a l'harmonie dans laquelle rien ne dépasse, tout est contenu dans un ensemble relativement neutre.  Puis il y a celle dans laquelle pour chaque partie de l'anatomie il est admis qu'une caractéristique notable soit constatée et appréciée.  Citons quelques unes de ces caractéristiques :

  • Le volume du toro est une caractéristique liée à sa charpente.  L'ossature développée chez les toros de Miura, leur permet de porter un certain poids sans que cela ne soit exagéré.  Le même poids sur une charpente plus réduite, d'un toro d'encaste Domecq,  ne conviendrait généralement pas, et pourrait même être considéré comme néfaste.  A lui seul le volume n'est pas trapio. En effet un toro volumineux, pourra ne pas exhiber d'autres caractéristiques notables et alors malgré son volume imposant, ne pas transmettre les sensations liées au trapio.  Le volume est lié à la longueur de cette charpente entre la croupe et le front, ainsi qu'à la hauteur de l'animal.   Un  volume très développé entrainera très probablement des difficultés pour toréer en ce qu'il sera difficile de dégager l'arrière  du corps du toro au moment de terminer la passe.
  • La définition musculaire joue évidemment un rôle important sur la perception que nous avons des toros. Indéniablement une musculature développée intimidera.
  • Les cornes font partie des éléments de l'anatomie des toros les plus reconnues par le public.  Les plus impressionnantes sont souvent les cornes longues et ouvertes ( cornalon, corniabierto, playero).  Ce type de cornes ne sont pas les plus propices au toreo et on peut leur préférer sans perdre en intensité et en émotion des cornes de longueur moyenne, orientées vers l'avant, même très légèrement rapprochées (cornalon, bienarmado, cornidelantero, corniapretado ).  Les armures dont les pointes se relèvent, même si la première orientation à partir de la tête est vers le bas, donneront toujours une sensation de sérieux ( Acapachado, veleto, cornivuelto, ou même cornipaso).  Les cornes qui se développent sur un plan horizontal (Astillano) sont moins impressionnantes.
  • La profondeur du toro contribuera à  l'intensité de son apparence.  Cette profondeur résulte de la distance entre le haut et le bas du torse (hondo).  Bien évidemment un morillo proéminent accentuera  l'effet de profondeur.
  • En complément de la caractéristique précédente on appréciera la largeur du toro.  Celle-ci résulte de la distance entre les épaules et de flanc à flanc.  Il s'agit de l'ampleur du poitrail.
  • Aux deux spécificités précédentes il conviendra de relier la notion d'harmonie de l'avant du corps avec le train arrière.  Un train arrière trop développé par rapport à l'avant laissera une impression bovine.  L'inverse (toro aleonado) en plus de ne pas être harmonieux, soulèvera des doutes sur la capacité du toro à faire face physiquement aux épreuves du combat.
  • Dans cette description partielle, en survol, du trapio on ne peux pas omettre de faire référence au regard du toro.  Pour celui qui s'en approche pour le combattre, le regard est essentiel.  Pour le public sur les gradins les orientations des regards sont perceptibles mais pas toujours leur intensité.  En lien avec ce sujet on peut mentionner les toros anovillados qui auront des regards peu menaçants.  Il s'agit des toros qui tant par leur corps que par leur tête donnent l'impression de na pas avoir terminé leur croissance, et ont une tête jeune.  Cela peut être du au fait qu'on les courent à la limite des règles d'âge.
  • La dernière caractéristique que je souhaite citer est celle de l'orientation de la colonne vertébrale du toro.  Les toreros aiment une colonne horizontale, voir très légèrement plus basse à l'avant, c'est_à-dire lorsque le toro a un port de tête bas.  L'inverse est un toro montado, avec le train arrière plus bas que le garrot avec la tête portée haute. Cette morphologie fort impressionnante est moins appréciée par celui qui doit l'affronter.

Une dernière remarque relative à cette brève et partielle description des caractéristiques morphologiques du trapio a pour but de rappeler que le trapio évolue durant le combat.  Certains toros conservent jusqu'au bout l'arrogance que leur donne leur combinaison de caractéristiques.  D'autre qui au départ l'avait, ont tendance à se dégonfler et à perdre de leur prestance.  La caste et la bravoure ne sont pas étrangers à l'évolution du trapio durant le combat.  Un autre scénario, tout à fait possible, est celui du toro à la morphologie peu notable en début de combat qui se grandit pendant le combat, gagnant en prestance sous l'effet de sa caste et de sa bravoure.

En tout état de cause rien dans le trapio ne garanti d'une manière ou d'une autre le comportement du toro au combat.  Exiger du trapio ou l'éviter ne doivent en aucun cas être perçus comme des choix qui garantiraient l'issue du combat.

3.   L'harmonie physique du toro de lidia.

Le toro de lidia se distingue des bovidés non braves par une morphologie qui comparativement est harmonieuse et permet agilité et mobilité, propices à l'expression de leur combativité et de leur bravoure.  Nos Bœufs Charolais, primés en boucherie,  sont impressionnants par leur corpulence et volume, mais ne sont pas  harmonieux et encore moins mobiles. A cela rien de problématique puisque leur nature profonde n'est pas la combativité et la bravoure. Il en est autrement pour le Toro.

L'harmonie du toro de combat est une alchimie variable.  Elle prend des formes distinctes en fonction des origines, des encastes et du processus de sélection des ascendants. Nous le savons, le poids moyen d'un Victorino Martin ne peut pas être comparé à celui d'un Miura et un toro harmonieux du premier élevage ne ressemblera en rien à celui du second.  Vouloir appliquer un mono type à tous les toros serait une hérésie. L'harmonie doit donc être analysée au cas par cas pour chaque encaste et chaque élevage.  L'Aficionado doit développer ses goûts en concordance avec une connaissance des origines de chaque lignée de toro de combat et en apprécier les spécificités.

D'abord on notera la concordance des différentes parties du corps entre elles.  Le trapio ne peut se satisfaire d'une hypertrophie d'une partie de l'anatomie.  Il n'y a pas harmonie si, par exemple, un toro sans musculature, sans morillo, porte une paire de cornes impressionnante.   Le seul critère des cornes, comme celui d'une quelconque autre partie de l'anatomie, ne peut être constitutif, à lui seul du trapio.  Il est nécessaire que chaque partie de la morphologie soit suffisamment développée et cohérente avec les autres parties pour être constitutive d'harmonie.

Un  excès anatomique peut nuire à la mise en œuvre efficace des techniques du toreo.  C'est par exemple le cas avec un toro excessivement playero( ouvert de cornes ) qui aurait du mal à tenir dans une muleta normalement tenue.  Il en serait de même avec un toro excessivement long dont l'arrière du corps n'aurait pas terminé de passer le corps du torero, alors que celui-ci terminerait sa passe.  L'harmonie du toro est donc relative à la fois à l'équilibre entre les différents parties de son anatomie mais aussi dans la proportionnalité entre son physique et celui de l'homme.

La notion d'harmonie du toro de combat est constituée d'une palette extraordinairement variée de caractéristiques morphologiques avec des combinaisons devant permettre de satisfaire tous les goûts.  Encore faut-il pour cela que le spectateur ait développé une appréciation personnelle de la notion de trapio en fonction des origines et des encastes.

4.   Le volume et la morphologie adaptés aux lieux.

Comme nous venons de le préciser, tout excès, dans le plus ou dans le moins,  qui nuirait au combat est incompatible avec la nature même du toro de combat.  Tant que le volume du toro ne rentre pas dans les cas d'excès précités il n'est pas problématique.  Pendant les années 70, les Arènes de Madrid ont connu un mouvement tendant à faire imposer des toros au volume excessif, affectant de ce fait très négativement leur jeux.  Le phénomène a eu lieu non seulement dans cette arène mais dans tous les ruedos car le mal avait affecté l'ensemble des élevages.  En effet, pour être certains de pouvoir présenter leurs toros dans les arènes de première catégorie les ganaderos avaient appliqué, de manière globale, des méthodes permettant de donner artificiellement du volume à un bétail qui n'avait pas toujours le trapio vrai.

Mais certains ganaderos à la même époque ont montrés qu'il était possible par la sélection et d'élever un toro adaptée  aux responsabilités liées  à chaque arène.  Rien n'empêche les éleveurs a élever des toros en recherchant par sélection du trapio.  Les plus beaux toros et les plus harmonieux iraient alors aux arènes de première catégorie et les autres seraient destinés aux autres plazas.

Aujourd'hui comme de tout temps les Figuras privilégient certains encastes et préfèrent autant que possible affronter  les moins impressionnants physiquement.  Même si de nos jours les toros ne tombent beaucoup moins,  le phénomène abouti à des conséquences néfastes en ce que la recherche excessive de noblesse a rendu les toros  statiques durant le combat. Ils finissent immobiles face à des toreros qui alors donnent un spectacle en proximité, arrachant une par une des passes sans beaucoup de contenu.  Certains pensent qu'il faut réduire les poids avec l'espoir d'améliorer la mobilité tout en conservant une noblesse au gût des figuras.  Si cette position devait prévaloir il y aurait une évolution vers une présentation de plus en plus limitée et réduite des toros.  Une telle évolution risquerait de faire apparaitre le Toro comme une victime.

Il faut que le toro inspire peur et respect à la fois visuellement et par son comportement.  Il lui faut caste et bravoure pour combattre et se mouvoir et alors il est tout à fait en mesure de porter un poids suffisant et sans excès qui permette la mise en valeur du trapio.

5.   Le public et le trapio, une question d'éthique.

Les années à venir vont mécaniquement être très compliquées pour l'élevage du toro de combat.  Du fait de la crise, le campo bravo connait une réduction massive du volume de production.  Dans trois ou quatre ans il y aura pénurie de toros et il sera d'autant plus aisé, pour ceux qui le souhaitent, de justifier une présentation apauvrie du ganado.  On nous expliquera qu'il faut faire avec ce qu'il y a.

L'Aficion doit se poser la question de savoir si la présentation du toro est une question d'éthique et si oui, si elle doit, dans l'hypothèse où il y aurait un excès en négatif,   exprimer son mécontentement.  S'il résulte de la réflexion menée ci-dessus qu'il convient d'avoir une vision large de ce qu'est le trapio et y inclure le plus de toros possible, il convient aussi de ne pas permettre des excès par le bas.  Si le toro est indignement présenté c'est une erreur de le laisser lidier sans protestation au risque de donner de la tauromachie une image déplorable non conforme avec celle que nous défendons, lorsque nous sommes attaqués de l'extérieur, ou celle que nous décrivons lorsque nous faisons du prosélytisme.

Pour résister aux influences résultant des choix faits par le mundillo, il conviendrait d'inventer de nouvelles formules d'organisation du spectacle.  La temporada en cours sera le témoin de tensions entre des figuras que veulent continuer à percevoir de gros cachets, d'Empresas à bout de souffle et un public désabusé et en difficulté financière.  La pénurie de toros nous obligera bientôt à organiser des corridas avec deux ou trois ganaderias à l'affiche dans les arènes qui exigent le toro toro. Castellon et Valencia on fait des essais cette année, avec des faces à faces ganadero, car les empressas étaient à la recherche de solutions et d'équilibres en pleine crise.  N'y aurait il pas là une opportunité d'apporter une nouveauté encore plus stimulantes pour le public.  Par exemple, imaginez que l'on puisse organiser une feria en composant les cartels par tirage au sort comme cela se fait pour le football, tant en ce qui concerne les toreros, que pour les ganaderias.  Il pourrait y avoir deux ou trois groupes de toreros dont on tire au sort les participants.  Les toreros pourraient choisir ganaderia et toros mais sans garantie de les toréer puisque les élevages et toros pourraient aussi être attribués par tirage au sort.

Même si nous n'en arrivons pas à cela, il serait utile de rediriger l'intérêt de l'aficion vers les toros, autant avant les corridas, que pendant.  A l'image des Arènes de Mont-de-Marsan qui viennent de mettre en ligne les videos des toros qui seront combattus en juillet, il serait positif de développer la quantité d'information donnée par les ganaderos à propos de leurs toros, préalablement aux corridas :  photos, videos, lignées, historique des parents avec  statistiques complètes des lignées, dates et anecdotes importantes de l'élevage des animaux, etc…  Pour intéresser l'aficion il faut la nourrir en informations qui habituellement sont conservées de part la ganaderia et quelques professionnels avertis.  Une telle évolution aurait l'avantage d'impliquer de plus en plus l'aficion du coté du toro et ne pas seulement laisser, de fait, au public généraliste la main mise par le biais de la taquilla.  Car il faut bien l'admettre il existe une alliance objective entre les puissants du mundillo et le public généraliste dans laquelle les premiers titillent l'ignorance des seconds pour définir un tauromachie qui s'éloigne des fondamentaux historiques et de l'éthique.  Dans son ignorance excusable et compréhensible, le public généraliste est réceptif et absorbe le spectaculaire au détriment du profond.  Pourtant le profond est le justificatif indispensable à l' art conçu autour de la mort d'un animal et de celle possible d'un homme, qui malgré la peur, est capable de créer le beau en regardant la mort dans les yeux.  En ce sens le trapio est un élément important dans la profondeur et l'éthique du spectacle.

PHOTOS pour la réflexion ( Source www.las-ventas.com) :

a)      Trois exemplaires à la musculature définie, au port de tête arrogant et aux armures agressives, sans démesure.

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b)      Deux exemplaires aux cornes démesurées.  Le premier avec une morphologie peu développée tête anovillada.

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c)      Quelques exemplaires au trapio varié en volume, poids, cornes et allures, toutes agressives.

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Informations relatives à l'exercice photographique plus haut dans l'article:

Les toros de la colonne de gauche étaient annoncés avec les poids suivants 519 kg, 524 kg et 507 kg.

Ceux de la colonne de droite avec les poids 566 kg, 617 kg, et 594 kg.

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