Madrid 1er juin 2022 – 25ème de Feria – Enfin à Madrid! – Morante de la Puebla dans ses œuvres coupe une oreille après une grande faena.

La Corrida de la Bienfaisance de Madrid est selon la tradition la plus importante de la temporada espagnole et dans le passé elle réunissait les triomphateurs de la dernière feria de San Isidro. Aujourd’hui, elle est incluse dans le cycle de cette grande feria madrilène. Cette année le cartel annonçait Morante de la Puebla, triomphateur de la saison 2021 et Ginés Marín qui avait coupé deux oreilles durant la Feria d’Automne de Madrid. Le grand absent qui figurait à l’affiche initiale était Emilio De Justo, à juste titre pour l’importance qu’il a pris par ses nombreux et brillants succès. Toujours convalescent de sa terrible blessure lors de son encerrona du 10 avril, le torero d’Extremadure était remplacé par Julián López « El Juli » comme naturelle et juste substitution à la suite de ses importantes prestations à Las Ventas le mois passé. Des toros d’Alcurrucén avaient été choisis pour cet évènement. Le roi Felipe VI occupait la loge royale accompagné des autorités de la Communauté et de la ville de Madrid.

Les toros d’Alcurrucén ont bien failli participer à un nouvel échec ganadero si ce n’était le professionnalisme des matadors et leurs capacités à résoudre des problèmes où d’autres auraient failli. De presentations inégales et parfois en-dessous du trapío habituel, ils montraien les caractéristiques de leur encaste, sortant abantos et ne se déclarant qu’à la muleta, certains augmentèrent cette singularité pour se déclarer mansos ou mansurrones. Ce fut clairement le cas du 1er et du 6ème, ce dernier se laissant toréer, l’autre pas du tout. Le 4ème de 590 kg provoquait une chute monumentale de la cavalerie au premier assaut mais sortait suelto et distrait. L’originalité du jour fut la diversité des robes des toros  – mal décrites dans le programme. successivement sortaient un negro chorreado en morcillo listón, un berrendo en negro careto calcetero, un colorado botinero, un colorado calcetero calzón, un carbonero capirote.

Morante de la Puebla se heurtait à un véritable mur, son premier toro qui attendait qu’on s’accupât de lui au centre de la piste, qui devait être mis quasiment sous le cheval pour être piqué. Après la seconde pique il restait figé, grattant le sol. Morante prenait l’épée d’acier et après de vaines ou simulées tentatives de faire passer ce marmolillo, se succédaient plusieurs pinchazos portés en prenant le large… Tout changeait, et c’est heureux, au 4ème qui ne permettait que des capotazos pour le fixer en pure perte, abanto, fuyant les capes et les banderilleros. Tout se décidait dès le début de la faena par un tanteo extraordinaire par des ayudados por alto et, sans discontinuité, MdP passait la muleta à la main gauche pour quelques naturelles de son cru. Après cela, une symphonie de passes s’offrait à nos yeux,  tour à tour des naturelles et derechazos, « templés », compas peu ouvert ou pieds joints, un molinete, un autre « à l’envers » – invertido -, des changements de main, le tout avec fluidité, ce caractère unique donné à toutes les suertes que domine le maestro. Une grande émotion régnait sur les gradins, quelques-uns y allaient de leurs larmes… d’autres se signaient avant la mise à mort… L’estocade portée avec décision – quand Morante le veut… – trasera, nécessitait le descabello et l’oreille était unanimement demandée, concédée sans discussion. La vuelta était triomphale avec chapeaux, bouquets de fleurs, un coq (vivant…), oeillets de ces dames, foulards, etc. Enfin à Madrid !

                          

Le bilan de Julián López « El Juli » en cette corrida de prestige aurait été bien différent si de magnifiques faenas de maîtrise et emprise sur ses deux toros n’avaient été gâchées par des pinchazos à répétition, s’évertuant dans son horrible « julipie » à la mise à mort. Cela paraît désormais pathologique. Son premier se freinait dans cape et ne s’employait pas sous le fer, pas plus face aux banderilleros. Dès le tanteo, on constatait l’application de El Juli de mettre le toro dans la muleta, avec facilité il faut dire. Les premières naturelles étaient bougées, les derechazos liés entre un ou deux pas de correction et passe de poitrine sans obliger le toro. Là aussi, les passes se succédaient, plus serrées de la droite et le changement de main pour la naturelle et la passe de poitrine. Les pieds rivés au sol, El Juli égrenait les passes maintenant le toro à sa merci. Au 5ème,  même si El Juli contrôlait la situation, la faena n’avait pas l’intensité de la précédente en partie dû à la mollesse de charge du toro. Celui-ci, qui s’était animé lors de bonnes courses face au cheval, de même aux banderilles, passait dans la muleta avec un petit saut final ou la tête en l’air. Ce défaut ne disparaissait pas malgré la position par le bas de la muleta et geste final du poignet qui s’imposaient pour son éventuelle correction. Cette faena avait été dédiée à Emilio de Justo, porteur de son corset et orthèse cervicale, présent à un burladero de callejón face au T9.

                                

Ginés Marín recevait le 3ème par des véroniques à la suite desquelles le toro s’échappait comme épouvanté. Quite par véroniques, en intermède, entre les piques, sans « mettre les cordes »  la deuxiéme. Les passes préliminaires de muleta, jambe fléchie, par doblones, longs, de la droite, et un changement de main lié à la passe de poitrine donnaient le ton d’une faena qui, sans être spectaculaire, montrait le niveau technique et la tête froide du torero. Les premières passes en naturelles, une à une, courtes de trajectoire  obligeaient Ginés Marín à changer sa tactique et dans les suivantes il courait la main et allongeait ainsi les passes. Il allait vers la fin de faena  sans trop obliger ce toro qui avait baissé de rythme, il tentait même une arrucina que refusait le toro mais il corrigeait par une capeina qu’il liait à la passe de poitrine ! L’estocade tombait basse. Sonnait un avis. Le dernier alcurrucén,  fut le manso type, courant dans tous les sens et fuyant, sortant suelto des piques, cherchant l’abri des tablas et restant statique au tercio de banderilles. Il n’y avait pas d’autre solution que tenter sa chance dans le terrain du toril : ce que fit Ginés Marín dans une faena où le toro tentait de fuir à la deuxième passe lorsque s’ouvrait un peu plus d’espace face à lui. Au plus près du toril, presque collé aux planches, les passes étaient de belle facture mais cela n’avait que peu d’intérêt. À la fin des bernadinas apportaient un peu d’émotion. Estocade  entière. Le toro amorcillado, tardait à s’éffondrer… et sonnaient deux avis.

Morante de la Puebla :  silence ; une oreille. « El Juli » : saluts ; silence. Ginés Marín : un avis et saluts ; deux avis et saluts. Hymne national espagnol, la loge royale garnie et brindis des toreros au roi. Apparat de circonstance. No-hay-billetes. 22.964 spectateurs.

Georges Marcillac

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