Livre: Le Taureau – Une histoire culturelle.

Le dernier ouvrage de Michel Pastoureau, édité par Le Seuil – 2020 – est l’invitation à une lecture qui viendrait confirmer le sentiment des aficionados que la fiesta de los toros est partie intégrante de leur afición – passion et vie -, de leur culture, enfin. Au terme de cette lecture, pour certains, ce titre pourra paraître un semblant ou un escamotage de la riche histoire du taureau animal mythique par excellence.

Michel Pastoureau (Paris – 1947) est un historien de l’époque médiévale, spécialiste de l’histoire symbolique occidentale, de l’héraldique, des couleurs et des animaux. Plusieurs livres illustrent cette spécialité et le dernier d’entre eux traite du taureau.

Sont étudiés les différents épisodes de notre civilisation avec pour axe le taureau, ses représentations avant notre ère, les mythologies de l’Antiquité, son discrédit au Moyen-Âge par le christianisme et finalement la corrida moderne autant valorisée par ses partisans que décriée par ses adversaires. Je passerai sur les chapitres concernant le bœuf et la vache laitière qui nous éloignerait de l’analyse et des sujets traités dans ces colonnes.

L’histoire culturelle du taureau commence par les représentations de l’art pariétal des grottes de Lascaux et d’Altamira en Espagne. Dans le premier chapitre, l’auteur élude les «tauromachies» primitives des grottes de Villars et de Roc de Sers (Dordogne) ou de Chauvet (Ardèche) où l’on distingue nettement l’homme et le taureau dans des attitudes d’affrontement. (Terres Taurines – opus 50 – p. 14 à 20). Est également oubliée l’étymologie grecque du mot tauromachie : ταῦρος, taūros ‘taureau’, y  μάχομαι, máchomai ‘lutter’ qui signifie donc combat avec le taureau. Cet oubli, apparemment délibéré, tend à faire croire qu’il n’y a pas d’origine objective entre ces combats primitifs du Paléolithique avec ceux des jeux taurins à travers les âges et leur évolution jusqu’à la corrida moderne. Cette évolution passe par les acrobaties de la taurocatapsia reproduites par les peintures murales du palais de Cnossos de l’île de Crète (vers 1700-1500 a.c.). Bien qu’elles soient, semble-t-il, d’ordre rituel, elles  n’en sont pas moins des figures que l’on peut facilement reconnaître dans les exercices des recortadores espagnols  ou des forcados portugais actuels. Michel Pastoureau les réduit à des acrobaties qui ne sont aucunement une forme archaïque de corrida, ce qui démontrerait qu’il ne connaît pas ou ne veut pas citer ces tauromachies qui, dans l’absolu, se retrouvent dans des formes modernes de jeux ou combats avec le taureau.

Un chapitre est consacré aux mythologies taurines et longuement sont repris les récits de la Grèce antique, les fredaines de Zeus qui prend la forme d’un taureau pour conquérir Io et plus tard Europe ainsi que le mythe du Minotaure. Plus tard, le taureau élevé au rang de dieu sera l’objet du culte de Mithra dans l’empire romain et sera banni pour faire place au christianisme, nouvelle religion qui s’installe au Moyen Âge et qui n’accepte pas la concurrence du taureau et des cultes païens. Bien entendu, ces légendes, ces cultes et pratiques n’ont pas de relation directe avec la corrida moderne mais, là aussi, le spécialiste du Moyen Âge qu’est Michel Pastoureau en profite pour nier l’existence d’une tauromachie médiévale sous prétexte que l’Eglise n’était pas favorable aux jeux taurins improvisés, dépourvus de toute règle et plus ou moins clandestins ; ce sont de simples divertissements carnavalesques (sic). Pour cela, les sources sont inexistantes et très fragiles : elles obligent à d’imprudentes jongleries philologiques et pour cela il serait vain de trouver dans des textes navarrais ou castillans de l’époque féodale des témoignages sur quelques jeux taurins qui pourraient passer pour d’éventuels ancêtres de la corrida moderne. (re-sic). Au contraire de ce qui vient d’être affirmé, il faut préciser qu’en effet, malgré les interdictions, ces «jeux» subsistent et c’est curieusement  – pour les exorciser ? – que les lieux de culte en apportent les preuves: œuvres d’artistes anonymes qui sculptent dans la pierre ou le bois des figures taurines avec cavaliers « toréadors »et  « toreros » à pied, armés d’un drap et d’une épée comme le montrent par exemple les chapiteaux du Monastère de San Ildefonso de la ville de Toro !! (1285-90) ou bien une des stalles du chœur de la cathédrale de Plasencia (Extrémadure) (XIIIème s.).

Néanmoins, l’auteur ne pouvait faire moins que livrer, selon son interprétation, un historique du début et évolution de la corrida espagnole à partir des XVIème et XVIIème siècles et de la deuxième moitié du XVIIIème siècle avec les «Tauromachies» de José Delgado « Pepe Hillo » (1796) et celle plus tard de Francisco Montes «Paquiro» (1836) où seront définies les règles de la corrida moderne. Sont justement rappelées les témoignages des voyageurs comme Théophile Gautier et Mérimée ou les œuvres d’artistes comme Francisco de Goya et plus tard Picasso qui expriment l’attraction et la vogue de la corrida (en Espagne mais aussi… en Occitanie) sans oublier l’apparition de ses détracteurs. La dialectique employée par l’auteur ne fait pas la part belle aux défenseurs de l’art de Cuchares et les arguments exposés se limitent à des clichés difficilement supportables et inexacts comme ceux, entre autres, qui font la comparaison du nombre des taureaux tués face à la mort de matadors : 4150 contre 1, entre 1950 et 2000 !! Quant à ceux des défenseurs ils sont dérisoires, sinon fallacieux, qui feraient sourire si la souffrance du taureau n’était pas si grande, le spectacle si cruel, et le rituel si barbare.

Ainsi sont les dernières lignes du Taureau – Une histoire culturelle – de Michel Pastoureau qui dans une récente interview déclarait qu’il n’avait jamais assisté à une corrida. CQFD. Le livre, écrit dans un style clair et concis, enjolivé de belles illustrations, laisse le lecteur aficionado sur un goût amer car justement la culture dont se targue le titre de l’ouvrage est mise à mal avec un parti-pris évident comme le démontrent les lacunes historiques et une aversion manifeste qui apporte de l’eau au moulin des animalistes. Sans espérer une défense acharnée de la tauromachie, car tel n’est pas le sujet, on pouvait espérer plus de rigueur et objectivité d’un historien des bestiaires au cours des âges.

Georges Marcillac

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